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Citations sur Tenir sa langue (136)

Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle " le peuple juif " oscille entre le " nous" et le "ils ".Elle est juive sans l'être .On dirait que c'est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le " nous ", il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l'embranchement et on se retrouve en plein "ils ".
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Un matin, l'annonce tombe. Polina, demain tu vas à la materneltchik. […] Le lendemain, j'arrive avec ma mère devant un immense bloc de béton. Sur le côté, il y a un trou noir. Des adultes entrent à l'intérieur avec des enfants et ressortent seuls. À côté du bloc de béton, il y a un enclos avec des enfants qui hurlent et courent dans tous les sens. J’entre dans le trou noir avec ma mère. À l'intérieur ça sent le parapluie mal séché et la peau de lait bouilli. On monte un escalier, on longe un couloir, on s'arrête devant une porte ouverte. À l'intérieur : une grande salle éblouissante pleine d'enfants. J’attrape la cuisse de ma mère à travers son jean. Je l'attrape et je serre fort. Partout des enfants assis à de petites tables. Partout des enfants et aucun parent. Des orphelins ! je me dis. (p.60)
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Un photomontage avant/après. Avant : image 3D d'un fœtus qui demande à sa mère de le garder. Après : image d'un petit garçon joufflu en tenue de la marine de guerre. Elle, elle n'avorte pas pour que lui, il parte au front. C’est clairement win-win. Je me demande qui a eu cette idée. Je me demande qui s'est dit : Elles vont voir ça, elles vont se dire : je le garde ! (p.175)
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Janvier 1990. Le premier McDonald's d’URSS ouvre à Moscou. Trente mille personnes. Un kilomètre et demi de queue. Je suis dedans avec mes parents et ma sœur. Il fait froid mais ça vaut le coup. On piétine pour les buterbrods venus de l'Ouest et leurs emballages individuels. Une fois le contenu mangé, on ne les jette pas. On les lave et on les garde. C’est une preuve. Ma mère commande un sachet de frites supplémentaires pour mon grand-père. Lui seulement. Ma grand-mère s'est montrée claire sur son refus d'y toucher. Si elle veut une patate, elle se la prépare. Pas besoin d'Américains pour ça. Depuis la veille elle condamne l'expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ, assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d'entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre invisible. (p.20 21)
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Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle "le peuple juif" oscille entre le "nous" et le "ils". Elles est juive sans l'être. On dirait que c'est au cas où. Au cas où quoi je ne sais pas mais si je pose une question sur le "nous", il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l'embranchement et on se retrouve en plein "ils".
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C'est un triangle composé d'une base, d'un centre et d'une pointe. La base s'appuie sur le bloc de béton, la pointe se situe au niveau du portail. La base est la partie la plus large du triangle. On y trouve surtout des cris d'individus mâles et des activités de type jeu de ballon, jeu du loup, bagarre et exhibition des parties génitales. La base domine la partie centrale du triangle. La partie centrale est plus resserrée, on y trouve majoritairement des cris d'individus femelles et des activités telles que la marelle, le saut à l'élastique et une étrange déambulation groupée accompagnée d'une litanie monotone. Cette partie centrale est dominée par la base mais domine à son tour et la pointe du triangle. Dans l'angle le plus éloigné du bloc de béton, dans la pointe étriquée du triangle, se trouve le lumpenprolétariat de l'enclos : Philippe et moi. Le Bègue et la Russe. (p.67)
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Octobre 1993. À Moscou, ma mère fait les valises. Mon père nous attend à l'endroit qui s'appelle la France. On ne peut pas prendre tout ce qu’on veut, il faut choisir ce qu'on laisse et ce qu’on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu’elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s’appelle Tobik. Lui et rien d'autre. Ma mère tranche. C’est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher. J'apporte Tobik dans la chambre avec balcon, là où sont les sacs. La TV est allumée en fond mais personne ne la regarde. Les grosses boîtes kaki à kaléidoscope sont réapparues. Maintenant, je sais que ce sont elles les «tanks» p. 46
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Ma mère veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. Le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français. Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de la langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules, se glissent sous la barrière. Ils s'installent avec les russes, parfois même copulent, jusqu'à ce que ma mère les attrape.
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Je marche vers le métro, je me dis : surtout ne ressasse pas. Je m'assois dans la ligne cinq. De Bobigny à Oberkampf, je ressasse. De Oberkampf à Croix de Chavaux, je ressasse encore plus. Est-ce que c'est dans mon intérêt ? Est-ce que c'est dans mon intérêt ? P é t a s s e.
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Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins.
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