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sur 757 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 #10 °°°

Dans ce roman frondeur et intelligent, l'auteure raconte son parcours du combattant pour faire changer son prénom francisé à sa naturalisation; elle veut reprendre son prénom de naissance, Polina et non Pauline. le premier chapitre s'ouvre sur une scène à l'absurdité kafkaïenne lorsqu'elle est convoquée au tribunal de Bobigny, face à l'incompréhension de la juge. de sa colère naît un questionnement puissant sur l'identité qui lui fait retracer sa propre histoire d'enfant née en URSS dont la famille a migré en France, à Saint-Etienne.

La force de frappe du récit, c'est son humour ravageur. On se marre non-stop grâce à des trouvailles stylistiques truculentes. Entre bourdes interculturelles et lapsus linguistiques, le travail d'écriture est formidable et donne envie de citer une multitude de passages plein de verve et d'inventivité qui mettent immédiatement des images très marrantes dans la tête : lorsqu'elle découvre la langue française à l'école, ne comprend pas tout mais commence à construire un mur étanche entre son français et son russe sans que rien n'y filtre, russe chez elle, français à l'extérieur de la maison, devenant la seule de la famille à perdre son accent russe pour adopter l'accent TV de Jean-Pierre Pernaut et Laura Ingalls ou des pubs Findus Croustibat.

A l'école « On me parle encore et encore de la langue qu'il me manque. La langue du français. C'est pour elle que je dois y aller. Je dois retourner à la materneltchik pour qu'elle me pousse. Tu la chanteras comme un oiseau, tu verras. Tchik-tchirik, fait le moineau. Mais j'ai déjà une langue. Qu'est-ce qui lui arrivera ? Tchik-tchik, font les ciseaux. Je pense aux queues des lézards que j'attrape à la datcha. Si on le touche, elles se détachent. On voit le moignon rose et les chairs à vif. La queue s'agite encore un peu et puis c'est fini. C'est une queue morte. On enferme le lézard dans le terrarium. Quelques jours plus tard une nouvelle queue lui pousse. C'est pour ça qu'il faut aller à la materneltchik. »

Après plusieurs mois à l'école « Quand je me réveille, le mur est froid, j'ai une sensation étrange dans la bouche. Ça me gratte. La langue, la gorge, le palais. Ça me démange, comme la croûte du genou écorché. J'ai la bouche astringente. Ça vient d'en bas, de l'intérieur de la gorge. Une envie de la gratter au-dedans. Dans un dessin animé qui se passe dans la jungle, j'ai vu un ours gros et gros se gratter avec un palmier. C'est ça que je voudrais faire. Je tousse un peu, je grogne. Je pousse quelques sons aspirés, gutturaux ? ça soulage. C'est un trop-plein de russe resté coincé pendant la materneltchik ou bien c'est le français qui s'installe et se met à l'expulser ? J'ai la langue qui me gratte. »

A la maison : « Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on ne n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules et glissent sous la barrière. Ils s'installent avec les russes, parfois mêmes copulent, jusqu'à ce que ma mère les attrape. »

Derrière son ton enjoué et léger, Polina Panessenko met le doigt sur les points névralgiques de l'identité et de l'intégration. Aux injonctions à rendre à la France qu'elle lui a donné, elle répond par une réflexion pertinente et contemporaine qui dénonce l'absurdité à vouloir enfermer une personne dans une culture alors que l'ouverture multiculturelle peut représenter une richesse tant on ne cherche pas à la contraindre, ce qui ne peut conduire qu'à une dangereux repli identitaire. Elle rappelle très pertinemment l'histoire de sa famille, Juifs ukrainiens, ayant déjà hérité d'une modification onomastique.

Fuyant les pogroms en s'installant en URSS, son arrière-grand-père avait fait le choix de russiser les prénoms de ses enfants afin de les protéger : par exemple, sa fille ( la grand-mère de Pauline donc ) au prénom juif très marqué, Pessah, est devenue Polina … le père de l'auteure a fait ce même choix en francisant le prénom russe, craignant des discriminations et jugeant que gommer toute trace d'extranéité serait une bonne chose. Cette fois-ci, l'histoire ne se répète pas. Pauline, redevenue Polina, n'a plus besoin d'un « e » en feuille de vigne pour s'affirmer en tant que Française.

Un premier roman drôle et engagé, insolent d'intelligence.
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Voilà une lecture qui a tenu ses promesses, je m'en lèche encore les babines !
L'autrice, d'origine russe, nous narre avec beaucoup d'humour son enfance avec ses grands-parents et parents à Moscou, puis son déracinement en France, à Saint-Etienne, nécessaire au travail de son père.
Polina a dû se battre pour apprivoiser le français, elle se remémore l'exclusion en maternelle et en élémentaire que cela lui a valu, sa soudaine perte de mots, quand français et russe se bousculaient au portillon de sa langue.
Langue qu'elle a d'ailleurs bien pendue, et elle ne mache pas ses mots quand elle nous dit sa sidération et sa colère quand elle comprend, que sans en avoir conscience, elle a été dépossédée de son prénom, transformé en Pauline, sans qu'on lui demande son avis, lors de sa naturalisation. C'est son père, pensant faciliter son intégration en France, qui a demandé ce changement.
Mais Polina à l'âge adulte ne l'entend pas de cette oreille, et nous raconte sa bataille judiciaire pour récupérer son prénom de naissance et pouvoir le mentionner sur ses papiers officiels. Car ce prénom n'est pas juste une sonorité, il raconte avant tout qui elle est, son histoire. Ce prénom est celui choisi par sa grand-mère d'origine juive pour se cacher, fuir les nazis, et surtout protéger son fils, en demandant à russiser son propre prénom Pessah en Polina.
L'autrice, elle, veut porter son prénom et ses origines en étendard, elle est fière. Son objectif est que sur l'acte de naissance de son enfant qui viendra un jour, figure le prénom Polina que ses parents lui ont donné à la naissance.
Un livre plus profond qu'il n'en a l'air et qui m'a charmé par la verve de son autrice, une grande simplicité et une franchise désarmante qui émeut. Polina nous tire la langue avec irrévérence et c'est extrêmement réjouissant !
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C'est lorsqu'elle a voulu inscrire son prénom de naissance sur ses papiers d'identité que Polina, a découvert qu'être autorisée à utiliser son prénom francisé, conformément à la demande de son père des années plus tôt, signifie en fait renoncer au prénom initial ! Pas d'autre recours que la lourde machine judiciaire pour retrouver officiellement ce prénom originel.

Quelques chapitres mettent bien en évidence l'absurdité du processus, mais cette quête de l'identité est surtout l'occasion de convoquer les souvenirs de l'enfant qui quitte la terre natale pour débarquer dans ce pays inconnu, immergée dans un bain de langage dont les sons ne font pas sens. Jongler entre les deux langues pour ne pas perdre le russe, mais s'intégrer dans ce pays qui l'a accueillie.


La double culture est une richesse qui peut cependant peser lourd et engendrer des quiproquos désagréables. le juste équilibre entre l'assimilation et la fidélité aux origines est un défi quotidien.

Avec beaucoup de fantaisie, et un art de restituer les balbutiements d'une enfant qui découvre une langue inconnue, les sons lui parviennent, l'imagination fait le reste, Polina Panassenko nous propose un récit attachant, drôle, mais qui n'occulte pas les écueils d'un exil obligé.

Très agréable premier roman, qui révèle un vrai talent d'écriture.

190 pages L'olivier août 2022

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Avec une écriture pleine d'humour parfois féroce et une grande tendresse, Polina Panassenko nous parle de la tragédie que vivent beaucoup d'immigrants .Elle est née en Russie et s'appelle Polina mais lors de son immigration en France elle deviendra Pauline.
Franciser son prénom, lui explique-t-on est un gage de vouloir s'intégrer dans son pays d'accueil.
Polina Panassenko nous conte son arrivée en France, à Saint-Étienne avec beaucoup de tendresse et de dérision.Il lui faut du jour au lendemain plonger dans un modèle français dont elle ne maîtrise pas la langue.
Elle fait preuve de beaucoup d'humour , la maternelle où elle fait ses premiers pas , elle l'appelle la " martermeltchik".
Pendant des années, Polina va en vacances à Moscou retrouver ses grands -parents bien aimés dans la datcha où là encore, elle doit tenir sa langue.
En aucun cas, elle ne doit dire qu'elle vit en France.
A l'âge adulte, Pauline veut redevenir sur son état civil : Polina et là c'est impossible .
Avec ce premier petit roman, Polina Panassenko montre du doigt l'absurdité de certains rouages de l'administration .
En quoi, s'appeler Polina ou Pauline change les choses pour une carte d'identité alors que pour l'intéressée, son vrai prénom est son identité pleine et entière à juste titre revendiquée.
Un bon petit roman qui se dit légèrement.
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«  Russe à l'intérieur, français à l'extérieur » ..
«  Un prénom pour la vie » .
«  Je passe de Polina à Pauline. J'adopte un «  e » en feuille de vigne. Polina à la maison. Poline à l'école .
Dedans , dehors , dedans , dehors » .

On a envie de citer de nombreux passages de ce récit joyeux à l'insolence salvatrice .
«  Oui , un prénom c'est pour la vie » assène t- on aux tourmentés de la parentalité…..
«  Ce que je veux moi, c'est porter le prénom reçu à la naissance » .
Eh ,bien non, on va voir ce qu'on va voir : ainsi s'exprime la petite Poliina, née à Moscou en 1989 , qui a quitté définitivement son pays après la chute de l'URSSS.

Elle devient Pauline à Saint - Étienne en 1991.

L'administration française est retorse , obtuse , intolérante .
Devenue adulte , Polina lui tient tête .

Aujourd'hui elle veut rayer Pauline des registres : la procureure de Bobigny le lui refuse ,au prétexte que ce truc de voyelles compromettrait peut - être sa bonne intégration. républicaine .
Risible , ce début du récit …
Face à tant d'absurdité la jeune femme «  tient » sa langue une première fois en s'empêchant d'agonir d'insultes une magistrate dans les deux langues : russe et français .

Le récit qu'elle nous offre de son combat , intelligent , drôle qu'elle a dû longtemps, très longtemps Retenir sa-langue. .

: Silence sur le russe. À oublier , n'est ce pas ?
Silence sur le français , à perfectionner absolument .

Que devient une langue que l' on contient ? .
Mais pourquoi les prénoms génèrent - ils tant d'ennuis , d'incompréhension ? Tant de crispations ? .
Elle nous conte les souvenirs de son transfuge linguistique avec fantaisie et allégresse ,tendresse et dignité, inventivité , : renoncements petits et grands , échanges entre les cultures.

Premier MC DO en Russie , bêchage de la datcha, puis première «  raklete » en France ,entrée en «  materltchik » dans un esprit qui sent «  le parapluie mal sèché et la peau de lait bouilli »
Des mots qu'il faut conquérir ! .

Comment se construit l'identité d'une petite fille exilée ? .

La France Terre d'accueil ? .
Une vie tiraillée entre deux langues et deux pays.

«  Avec des maux de gorge , la langue qui la gratte pendant la nuit : «  Je tousse un peu, je grogne , je pousse quelques sons aspirés ,gutturaux. Quelque chose se passe . Ça fait du bien , c'est un trop plein de Russe resté coincé pendant la materltchik ou bien c'est le français qui s'installe et se met à l'expulser ? » .

Des mots et des pages pétries de pudeur et d'amour à propos de sa famille , sa soeur , ses parents , ses grands - parents .

Sa mère : «  Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur . Ma langue. Son nid. Ma bouche , la cavité qui l'abrite : elle surveille l'équilibre de la population globale , le flux migratoire, les entrées et sorties des mots russes et français » .
Un premier ouvrage joyeux , tendre et frondeur ,créateur, chaleureux , original, agréable, pétri d'humour et de dérision , de fantaisie, ponctué de renoncements et de pertes , de douleurs , de deuils petits et grands , avec visite inopinée de sons , de «  son accent » revenu lui demander des comptes comme «  de la soie qui plie ici et là et qui pourrait plisser ailleurs » ….
Ah, le prénom des gens ! Un vrai sujet très peu traité !
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Depuis un moment ce livre me tentait. Et puis la critique de Queque72 (merci Marie-Pierre) m'a convaincue. Passage à la bibliothèque, ce livre est là sur la table des nouveautés, disponible, à croire qu'il m'attendais !
Un livre sur la langue, le nom, l'enfance et la quête d'identité entre deux pays (la Russie et la France), deux cultures.
Un livre qui raconte l'auteure, son enfance, et son souhait de reprendre son prénom Polina francisé en Pauline. J'ai été déroutée de voir que celle-ci doit motiver sa demande alors qu'il s'agit de reprendre son prénom.
Un voyage en Russie, un voyage dans les langues.
Un joli texte, sympa. J'ai passé un bon moment de lecture.
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Polina en Russie, Pauline en France. Prénom changé par l'administration à son arrivée à Saint Étienne. Elle saisit le tribunal pour avoir son vrai prénom sur les papiers. le roman est partagé entre les deux pays et son âge actuel et quand elle était enfant. Vu comme une certaine émission l'a vendu, j'en attendais plus. Quelques sourires quand elle compare les mots entre les deux langues comme hibou qui veut dire bonjour en russe et la Rakléte chez les voisins. J'ai trouvé le style un peu froid, on a l'impression que l'auteur se protège. Ses grands-parents qui vivent en Russie sont très présents tandis que ses parents semblent absents, quelques lignes sur sa mère qui meurt, beaucoup de pages sur le décès du grand-père. Un livre sur la difficulté de l'immigration.
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Le prénom

Si ce premier roman est signé Polina Panassenko, c'est que son autrice a réussi à faire changer son prénom. L'histoire de Paulina-Polina est un jeu de saute-culture entre la Russie et la France, à l'image des nombreux allers-retours effectués entre ces deux pays.

Le courrier a beau être rédigé en jargon administratif, il ne laisse aucun doute quant à la décision prise: l'administration refuse que Paulina retrouve son prénom d'origine, Polina, francisé lors de son arrivée sur le territoire français. Alors Paulina doit à nouveau se lancer dans le dédale administratif, les instances judiciaires et espérer qu'à la fois suivante, elle sera entendue.
Car l'histoire de Polina-Paulina mérite d'être entendue. Prenant sa plus belle plume, la jeune femme va tenter de la résumer à l'intention de la procureure :
« Je suis née à Moscou, en URSS. Mes parents m'ont appelée Polina. C'est le prénom de ma grand mère paternelle. Juive. Sa famille a fui les pogroms d'Ukraine et de Lituanie. Quand ma grand mère est née, ses parents l'ont appelée Pessah. Ça veut dire «le passage». C'est le jour de célébration de l'Exode.
À la naissance de mon père, ma grand mère a changé son prénom. Elle l'a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l'était pas. Sur l'acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina.
En 1993, mes parents ont émigré en France avec ma soeur et moi. Quand j'ai obtenu la nationalité française, mon père a fait franciser mon prénom. Lui aussi voulait protéger. Faire pour sa fille ce que sa mère avait fait pour lui.
Ce que je veux moi, c'est porter le prénom que j'ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand mère n'a pas pu faire en Union soviétique.
Je n'ai pas d'enfants mais je désire en avoir un jour. Sur l'acte de naissance, en face de «nom de la mère» je veux écrire «Polina».
C'est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C'est celui là que je veux transmettre, pas celui de la peur. Je veux croire qu'en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque là.
Je m'appelle Polina. »
Pour le lecteur, Polina va détailler ce scénario, depuis ses jeunes années au lendemain de la chute du mur et de la fin de l'Union soviétique, au moment où elle vivait dans un appartement communautaire de Moscou. Bien que de taille modeste, il abritait les trois générations de la famille, ses grands-parents, ses parents, ainsi que sa soeur et elle. Dans ce moment de bascule, on a droit à quelques souvenirs marquants de la vie dans l'ex-URSS, comme cette visite à la vendeuse en bas de l'immeuble. «On doit lui dire ce qu'on veut en fonction de ce qu'il reste. Elle pèse tout sur une grande balance bleue avec une flèche qui oscille. Sur un plateau elle pose ce qu'on achète, sur l'autre elle met des cylindres, quand la flèche du cadran est au centre, elle s'arrête. Ensuite elle fait claquer les perles en bois sur les tiges du boulier et annonce un chiffre. Ma mère tend les papiers carrés qui donnent le droit d'acheter et ensuite les roubles. Sans les papiers carrés, les roubles ne servent à rien.»
Mais la grande affaire du moment, c'est le grand départ. Alors que les tanks occupent l'écran de TV, Polina prépare ses bagages pour rejoindre son père en France. Nous sommes en Octobre 1993. «On ne peut pas prendre tout ce qu'on veut, il faut choisir ce qu'on laisse et ce qu'on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu'elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s'appelle Tobik. Lui et rien d'autre. Ma mère tranche. C'est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher.»
Arrive alors la partie la plus savoureuse, même si on imagine toute la difficulté, tous les efforts nécessaires à la jeune fille dans un monde si étranger. Polina est devenue Paulina et a rejoint Saint-Etienne. C'est dans le Forez qu'elle va apprendre le français, aidée notamment par la télévision et l'autre élève boudé par les autres, Philippe. Cette alliance du bègue et de la russe va faire des merveilles, tout comme le déchiffrage des publicités pour brioches ou encore les dialogues des Minikeums.
Polina Panassenko réussit à merveille à retracer ce parcours et à cacher derrière l'humour ses blessures d'enfance, sa peine à tenir l'injonction de s'intégrer et d'oublier le russe pour le français, la famille restée «là-bas» et les nouvelles relations qui se nouent «ici», dans ce pays qui ne veut pas lui rendre son passé.
Entre les rires et les larmes, Polina va écrire son premier roman dans une langue qu'elle maîtrise désormais au point d'en jouer. Et parvient à nous éblouir, à l'instar de Maria Larrea, l'autre primo-romancière de cette rentrée en quête de ses origines.


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Tenir sa langue est le premier roman de Polina Panassenko et l'ambiguité du titre nous laisse à penser à quels écueils va se trouver confrontée la narratrice. Car c'est bien de langues qu'il s'agit dans ce récit plein d'une verve insolente et drolatique : celle de la mère patrie, la Russie et celle du pays de l'exil, la France qui deviendra aussi pour la narratrice son pays d'adoption car elle va devenir "française de pleins droits par naturalisation du père".
A contrario d'autres romans sur le thème des traumatismes de l'exil vécus par des enfants et dont le dénominateur commun est souvent l'évocation du sentiment de solitude, d'abandon et de désespoir lié au déracinement, Polina Panassenko ne va pas choisir la voie de l'affect pour évoquer son départ de Russie à quatre ans, son arrivée en France, son partage entre deux cultures : la russe et la française.
L'auteure choisit d'évoquer les déchirements identitaires qui vont être les siens à travers le prisme de la langue et plus particulièrement celui lié aux prénoms. Polina en Russie, Pauline en France. C'est ce clivage un peu schizophrénique qui va être au coeur de son combat mené auprès de la justice française pour obtenir de garder son prénom russe, avec en arrière-fond, une réhabilitation identitaire et un hommage posthume à sa grand-mère paternelle, juive d'origine et qui avait russisé son prénom Pessah en Polina par souci sécuritaire.
Ce que j'ai aimé dans ce roman auto-biographique c'est avant tout l'humour et le sens du cocasse dont fait preuve la narratrice à propos de situations qui sont a priori dramatiques...Regard décalé de la petite fille russe qui ne voit dans l'arrivée des chars russes à Moscou que "des boîtes kaki, au caléidoscope intégré" ou pour qui "la vraie France s'appelle St Etienne". Ce procédé assez classique se pimente souvent d'un sens de la formule qui fait mouche :"Ma tante a le judaïsme clignotant". Mais les passages les plus savoureux vont être ceux où elle nous plonge en compagnie de la petite Polina dans le royaume d'absurdie, celui de la "materneltchik où sa mère va la traîner de force un beau matin. Ironie du sort les premiers mots de français qui feront sens pour elle seront ceux échangés avec un petit garçon bègue relégué au fond de la cour tout comme elle. Scène désopilante également que celle où elle essaiera vainement de s'intégrer à la ronde des enfants de sa classe sur la comptine enfantine : savez-vous planter les choux ? Derrière ces scénettes fort drôles pointe en filigrane toute la détresse d'une petite fille perdue dans un univers dont elle n'a pas les codes et qui va se défendre bec et ongles contre les insultes et les brimades des autres enfants.
C'est toujours avec un humour cette fois mêlé de tendresse qu'elle évoquera "la chasse aux mots perdus" faite par toute la famille lorsqu'elle se trouve en Russie pour venir en aide à la grand-mère maternelle en route vers Alzheimer...
Ce premier roman de Polina Panassenko m'a donc amusée et beaucoup plu pour son originalité et son parti-pris de l'humour envers et contre tout... Mine de rien, il pose aussi en filigrane un questionnement essentiel sur la place de la langue dans le processus identitaire et les rapports de pouvoir qu'elle peut instaurer dans certaines situations.
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Plein d'une insolence charmante et tendre, ce premier roman autobiographique est le récit d'une enfance déchirée entre deux pays, entre deux cultures, entre deux langues. L'autrice se re-glisse dans sa peau de fillette, met sa langue imaginative au service des réflexions de la petite-fille qu'elle était pour le plus grand régal du lecteur (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/08/19/tenir-sa-langue-polina-panassenko/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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