Citations sur Un problème avec la beauté, Delon dans les yeux (11)
Que pesaient l’envie, la détestation, la haine qu’il suscitait face à l’amour inconditionnel de la caméra ? Cet amour-là, ce qu’il fallait d’abnégation, de professionnalisme, pour le mériter, le faire vivre, le magnifier, le sauveraient de tout. Ils avaient raison sur un autre point : il n’était pas « comédien » comme Quasimodo Belmondo. Il ne jouait pas ses rôles, il les vivait. Il était acteur, la caméra l’aimait, et il les emmerdait.
La caméra lui découvrait une vie qu’il ne soupçonnait pas, généreuse, idéale, réveillant, rameutant, libérant les êtres qui le composaient, tous ces moi que l’on a en soi, qui ne se connaissent pas entre eux et entre lesquels on ne croit pas devoir choisir. La caméra ferait de la place à tout ce monde. Il s’agissait bien d’amour puisque ce sentiment le grandissait, le multipliait, et d’un amour réciproque, la caméra l’aimant pareillement, éclairant, découpant, exaltant ses traits, suscitant, épousant ses mouvements, lui procurait un plaisir nouveau, toujours différent. Ce serait toujours la première fois quand la caméra le filmerait.
Il ne jouait pas ses rôles, il les vivait. Il était acteur, la caméra l’aimait, et il les emmerdait.
Clément, dirait Delon, lui enseignait sa « science » : « Le regard. » « Tout doit se passer dans les yeux. » Sur la mer d’huile brûlante de Plein Soleil, les yeux de Delon levaient le vent de violence de Genet : « Je nomme violence une audace au repos amoureuse des périls. On la distingue dans un regard, une démarche, un sourire, et c’est en vous qu’elle produit des remous. Elle vous démonte. Cette violence est un calme qui vous agite. » Comme les traits du héros du Journal du voleur, ceux de Ripley-Delon « étaient d’une violence extrême. Leur délicatesse surtout était violence ». Cette délicatesse tranchait comme le couteau qui trouait Greenleaf puis remettait le couvert : après avoir pris sa vie,
...« il sait qu’il est trop beau, qu’il a trop de chance, trop de succès, qu’il roule trop vite dans une voiture trop blanche, qu’il reçoit trop de cadeaux, trop de lettres parfumées » et « il comprend qu’on puisse lui envier tout cela mais il ne comprend pas qu’on puisse le haïr, car ce bel indifférent ne supporte pas d’être mal aimé ».
La caméra lui découvrait une vie qu’il ne soupçonnait pas, généreuse, idéale, réveillant, rameutant, libérant les êtres qui le composaient, tous ces moi que l’on a en soi, qui ne se connaissent pas entre eux et entre lesquels on ne croit pas devoir choisir. La caméra ferait de la place à tout ce monde. Il s’agissait bien d’amour puisque ce sentiment le grandissait, le multipliait, et d’un amour réciproque, la caméra l’aimant pareillement, éclairant, découpant, exaltant ses traits, suscitant, épousant ses mouvements, lui procurait un plaisir nouveau, toujours différent. Ce serait toujours la première fois quand la caméra le filmerait.
«Un comédien apprend son métier, « un acteur, c’est une personnalité, forte, qu’on prend et qu’on met au service du cinéma », « un acteur, c’est un accident ».
Et si l’existence précédait l’essence comme répétait ce Sartre, il serait le premier dans l’existence, et d’une essence rare, car il en avait déjà vu pas mal, en savait beaucoup plus que ces zazous gommeux et pommadés. Eux sortaient en bande, lui était seul, mais entre solitaires, on se comprenait : dans la faune germanopratine claudiquait Zizi, une jolie fille des îles, qu’il portait parfois dans ses bras jusque chez elle.
On croit rencontrer des personnes par hasard sans savoir qu’on honore un rendez-vous fixé par un regard des années avant.
Depuis toujours, le jeune Delon composait avec le cinéma familial. Avant de s’occuper du Régina, Fabien, bricoleur de caméras, avait décroché des emplois de « silhouettes » dans des films. Silhouette au cinéma, figurant dans la vie, du moins pour son fils. Préparatrice en pharmacie, Édith avait troqué ses rêves de vedette contre un emploi d’ouvreuse, puis les étalages de la charcuterie-comestibles Boulogne. Mais lui, vers 14 ans, il avait déjà tenu un vrai rôle dans Le Rapt, un petit film d’amateur tourné par le père d’un camarade. En chapeau de gangster, il courait, un bambin dans les bras, puis s’effondrait, touché par une balle, une main sur le cœur.