Delestran était heureux de la retrouver.Ils avaient quelques histoires en commun qu'ils gardaient secrètement pour eux sans avoir besoin d'en reparler systématiquement comme le font parfois certain anciens combattants n'ayant plus rien de nouveau pour alimenter leur nostalgie.
Delestran valida par un large sourire. D’une part, parce que c’était vrai, et d’autre part, parce que c’était de l’humour de flic, un humour difficilement compréhensible pour le simple quidam mais qui leur permettait souvent d’évacuer la charge émotionnelle engendrée par la confrontation au destin tragique de leurs concitoyens.
- Vous savez, quand on est né comme moi, "sous X", on fantasme beaucoup sur ses origines, pour ne plus être un colis abandonné. Mais finalement, ça ne sert à rien, bien au contraire, on ne peut avoir confiance en la vie. Il manque un sens. C'est inhumain d'être le fils de personne ! Et cette honte, toute votre vie, d'avoir été abandonné, rejeté. On en devient coupable à la longue, comme si on l'avait peut-être mérité.
Tout grand lecteur compulsif avait sa PAL : sa Pile À Lire, une pile ne diminuant jamais, toujours alimentée, parce qu'elle était en quelque sorte à la lecture ce que le désir était au plaisir.
Devant la mort, la vie était finalement peu de chose et, pourtant, c'était tout. À trop y penser, on pouvait devenir fou ; mais à l'ignorer également.
Devant la mort, la vie était finalement peu de chose et, pourtant, c’était tout. À trop y penser, on pouvait devenir fou ; mais à l’ignorer également.
Une autre chose préoccupait Delestran.
Si les flics de la télévision n'avaient qu'une seule enquête en cours, les flics de la réalité avaient toujours au portefeuille plusieurs affaires qu'il fallait traiter selon l'urgence. Et l'urgence pouvait prendre plusieurs visages : judiciaire, médiatique, politique, administrative, avec en filigrane ce besoin parfois de rassurer l'opinion publique, ce qui trop souvent l'empêcher de maîtriser ses priorités. Même si Delestran s'en serait bien passé, il fallait composer avec, c'était la règle du jeu.
Avec elle, il pouvait se laisser aller à quelques confidences qu'il ne se serait pas permises avec les autres. L'enquête bien entendu, mais surtout le reste, ce qu'elle faisait transpirer comme le liquide rendu par une éponge humide lorsque qu'on la presse.
Une bibliothèque était comme un album photographique, "Dis-moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es".
Les gens de la rue ne faisaient pas semblant, ils ne trichaient pas, n'avaient plus à paraître ou à séduire qui que ce soit, il leur fallait survivre.