Dans un mois, le retour du beau temps, coïncidant avec l'arrivée massive des premiers estivants, redonnerait à Bayeux un petit air de fête, mais un mois, cela paraissait bien long à Julien Neubourg. Assis à sa table de travail, dans son appartement de la rue des Bouchers, il ne se sentait guère de cœur à l'ouvrage. Depuis quatre jours, la pluie tombait sans discontinuer, et son avenir lui paraissait aussi sombre que le coin de ciel qu'il apercevait de sa fenêtre.
En bon comptable qu'il était, il faisait le bilan de ses quarante années de vie. A l'actif, une jeunesse relativement heureuse, une mère douce, trop tôt emportée malheureusement par une maladie sans appel. Au passif, toute la seconde moitié de son existence, un mariage sans amour, un métier sans joie, des conflits incessants avec son épouse.
(incipit)
- On est bien tous les mêmes, dit-il. Toujours à nous plaindre de nos bonnes femmes, moi comme les autres. Et puis, vlan, v'là qu'y leur arrive un coup dur, et c'est alors qu'on s'aperçoit qu'on y tient. C'est pas vrai, p'tit père ?
- Oui...
- Regarde Bernompré ; on pouvait pas plus cocu, hein ? Malheureux, qu'il était. Ben, faut croire qu'y préférait encore ça que d'être veuf. Les gens, faut pas s'y fier. On peut jamais savoir ce qu'ils ont sous l'capot... Tiens, figure-toi qu'un jour...
Julien ne l'écoutait plus. A quoi bon ? C'était un brave type, Cormolin, mais il ne comprenait pas mieux que les autres. Un bon mécanicien, oui ; un bon joueur de dames, d'accord ; mais pour ce qui était de la psychologie, pas une miette, rien, le trou béant.
Hommage au romancier français Brice Pelman (dit aussi Pierre Darcis).