Il y a toujours une fenêtre que je laisse ouverte pour que les Monstres puissent entrer. Je ne le fais pas vraiment exprès. Mais tous les Monstres rentrent dans toutes les têtes de la même façon : on les y invite. Parce qu’il y a quelque chose en eux qui nous fascine, qui nous comble, ou du moins qui absorbe notre esprit logique en polarisant nos réflexions. Quand ils sont là, c’est trop tard. Ils ne sortent plus et la terreur grandit.
Moi, ce sont mes questions sans réponse de petit garçon qui leur servent de fenêtre. Je ne peux pas m’en empêcher…
Je me rappelle…
S’il y avait des choses qui devaient rester à l’intérieur des familles, comme la négligence des enfants laissés à l’abandon, par exemple, il fallait quand même faire attention aux règles de bienséance.
Il n'y avait rien d'autres dans le monde que les Elfes, les Monstres et les Monuments
Je ne sais même pas s’il y avait quoi que ce soit de vrai là-dedans. Mais en même temps, les plus beaux souvenirs se rapportent souvent à des évènements qui n’ont pas vraiment existé.
Ni elle ni le père de la mère n’avaient approuvé le mariage de la mère, par contre. Parce que le père sentait mauvais et n’était pas instruit. S’il y avait des choses qui devaient rester à l’intérieur des familles, comme la négligence des enfants laissés à l’abandon, par exemple, il fallait quand même faire attention aux règles de bienséance.
Mais c’est vrai qu’il y avait un problème avec l’hygiène du père.
Par exemple, chaque année, le service des patients volubiles organise une espèce de « journée portes ouvertes ». On exhibe les Monuments aux badauds qui ont envie de visiter les fous. Comme on visite un zoo ou un parc d’attractions. Des centaines de personnes affluent du village et des communes alentour pour se promener dans le parc où les Monuments sont rassemblés, pour nombre d’entre eux, contre leur volonté. L’administration appelle ça « la réhabilitation », c’est-à-dire que cette mixité des populations lambda et protégée permettrait l’éclosion d’un sentiment de citoyenneté chez nos Monuments, favorable à leur équilibre psychique.
Moi, ça me met très en colère.
C’était difficile, la liberté. Les fils et les tubulures me manquaient parfois.
Il faut bien reconstruire le monde à sa façon, on ne peut quand-même pas le prendre tel qu’il est. C’est trop triste. Prends le ciel, les nuages, les oiseaux, ce que tu voudras, ça n’a aucun sens si on n’y invente pas autre chose avec, un peu d’accent dans le regard qu’on y met. C’est vrai, c’est nul la nature naturelle…
Alors, je cessais mon ballet et j’allais à la fenêtre regarder la pluie. Elle ne tombait au-dehors que pour m’en débarrasser en dedans. Elle essayait simplement de m’aider.
— Tu avais promis de ne pas m’attacher, disait l’Elfe, et sa voix était blanche, maintenant.
— D’accord, répétais-je.
— Parce qu’il se passera quoi quand je voudrai partir absorber la lumière de la forêt et nager dans la montagne sous les mers avec un engin volant ou sans engin du tout. Tu m’enfermeras ? »