Petite gosse bien aimée,
Voici deux jours que je n’ai rien reçu de toi, et ça m’a bien un peu gâché mon réveillon de n’avoir pas eu hier soir, avant de me mettre à table, une bonne lettre de toi, ma chérie. Je ne veux pas être en souci : je pense que c’est la poste qui m’a joué ce sale tour en raison de l’encombrement, et j’espère que ce soir, à Riaville, avant de regagner la tranchée, je pourrai me réchauffer le cœur en lisant un petit mot de toi. Notre petit réveillon a été très gai, très animé, plein d’entrain et de bonne camaraderie. On t’a voté des remerciements unanimes que je te transmets avec un gros baiser de ton grand. […] j’aime autant te l’avouer : nous nous sommes couchés à deux heures, et j’ai un peu la gueule de bois. Je viens de me débarbouiller copieusement, et cela va très bien. Il a gelé fortement cette nuit, et il fait un soleil magnifique. La tranchée va être habitable, et on n’aura plus les pieds dans l’eau. […] Au revoir, ma gamine adorée.
(Lettre à Delphine, 25 décembre 1914)
On espère qu'avec les beaux jours, il y aura quelque chose : nos poilus bien en main ont un moral excellent. Dame, ils sont nourris comme des princes et quand le ventre est plein on en fait ce qu'on en veut. Le patriotisme, au fond, c'est un peu une question de tripes à remplir.
(...) j'ai l'intime conviction que cette guerre est salutaire et qu'elle est la suite et la continuation logiques des campagnes de la Révolution. Il y a progrès : en 93, nous étions seuls contre tous ; à l'heure actuelle nous sommes presque tous contre un.