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Critique de ClaireG


Qui sont donc ces gardiennes dont parle Ernest Pérochon ?

Lors de la Grande Guerre, les hommes sont mobilisés pour partir au front. Tous les hommes, ceux des villes et ceux des campagnes. Tous croient que le conflit sera de courte durée, qu'ils pourront bien tenir une année.

Le village de Sérigny, dont les métairies se trouvent entre la plaine niortaise et le Marais poitevin, ne fait pas exception. Les femmes d'agriculteurs se retrouvent dans les champs, aidées par leurs adolescents, les plus jeunes étant souvent livrés à eux-mêmes, conseillées par les vieux trop âgés pour l'enrôlement. Ce sont elles les gardiennes. de la ferme, des animaux, de la subsistance quotidienne. Elles qui se tuent à un travail auquel elles ne sont pas préparées, qui doivent affronter les intempéries, prendre des responsabilités jusque là dévolues aux seuls hommes, payer le fermage quand elles ne sont pas propriétaires, vendre les produits de la ferme, approvisionner les villes et les hommes du front.

En bref, un travail harassant que tous croyaient momentané.
Après un an de guerre, la vie prend une autre tournure, les nouvelles des soldats annoncent le durcissement des positions, les permissions sont reportées, les rôles féminins sont en pleine mutation. Les méthodes d'exploitation changent en fonction des forces et des effectifs réduits. le courage et la détermination des femmes à maintenir leur patrimoine en état jusqu'au retour du mari et des fils, sont souvent mis à l'épreuve.

La famille Misanger est emblématique de cet épisode peu exploité en littérature. Il semble même que ce livre soit le seul, en France, à décrire la vie des femmes « à l'arrière ». Il en existe à propos des femmes dans les usines, dans les administrations, dans les services aux blessés, mais aucun sur cette vie épuisante dans les campagnes au cours de la Première Guerre mondiale. « Les deux femmes firent sécher le regain et le rentrèrent. Ce n'est pas un mince travail que de rentrer du foin au pays du Marais. Il faut le prendre sur le pré, le porter à la conche, dresser la batelée, conduire le chargement à la perche par les fossés étroits, parfois même le haler à bras. Devant la Cabane, il faut ensuite décharger le foin, le porter enfin du canal jusqu'à la grange où on l'entasse » (p. 55).

Les parents Misanger reprennent le collier alors qu'ils avaient confié leur ferme à leurs enfants après une rude vie de labeur. Les deux fils et le gendre appelés sous les drapeaux, et la fille exploitant à grand peine la propriété de son mari, le père et la mère Misanger retrouvent les gestes d'antan, la mère surtout, qui va mener son exploitation tambour battant.

Elle n'hésite pas à parcourir des kilomètres pour intercéder auprès de l'armée pour obtenir des bras pour les moissons, que ce soit ceux de blessés légers ou ceux de prisonniers allemands, et à partir de 1917, de soldats américains débarqués à La Rochelle et attendant leur affectation au combat.

Elle engage, sans la ménager, une jeune fille de l'assistance publique pour s'occuper de la maison. Plus tard, la jeune femme secondera sa patronne dans les champs et connaîtra quelques moments de bonheur auprès de l'un des fils permissionnaires. La mère n'hésitera pas à recourir à la délation pour les éloigner.

Peu à peu, ces gardiennes investissent dans de nouvelles machines agricoles venues des Etats-Unis, qui soulagent considérablement les travaux des champs, les prix flambent, le fromage, le beurre et les oeufs atteignent des cotes jamais vues, les permissionnaires découvrent, décontenancés, leur patrimoine géré avec intelligence et modernité. Certains se sentiront dépassés, ravagés par les souvenirs des tranchées, absents.

Les Gardiennes peuvent être assimilées à un documentaire grâce aux descriptions pointues des moeurs et de la vie de la campagne française du début du XXe siècle. Elles m'ont rappelé l'excellent roman d'Angela Huth « Les Filles de Hallows Farm » qui retrace ces mêmes conditions dans les campagnes anglaises de la Deuxième Guerre mondiale.

Ernest Pérochon est né en 1885 dans les Deux-Sèvres, où il fut instituteur. En 1920, il obtient le prix Goncourt pour son roman Nène. En 1914, il est affecté au service de la Poste et prend grand soin à observer la « vie des humbles » dont il parle sans emphase mais avec force détails. En 1940, il refuse de collaborer avec le gouvernement de Vichy et il est surveillé par la Gestapo. Il meurt d'une crise cardiaque à l'âge de 57 ans.

Grand merci à Nostradamus27 qui m'a fait connaître Ernest Pérochon, auteur injustement oublié. J'espère qu'il sera remis à l'honneur lorsque sortira, fin de cette année 2017, le film « Les Gardiennes » de Xavier Beauvois (Des Hommes et des Dieux, le petit Lieutenant). Une très intéressante préface d'Eric Kocher-Marboeuf, président des amis d'Ernest Pérochon, retrace les principales étapes littéraires de cet auteur de romans ruraux que je vous recommande avec chaleur.

Les Gardiennes datent de 1924 et le livre a été réédité en 2016 par les éditions Marivole.
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