Citations sur Nêne (33)
Madeleine mena les enfants chez les voisins et Gédéon s’en alla prévenir les parents, les amis, les voisins, tous les dissidents. Les pleureuses arrivèrent dès huit heures. Les premières vinrent des villages proches …. Dans la soirée ce furent celles de Grand-Combe et de Foye, puis celle de Coudray qui passèrent la soirée. Le lendemain on vit entrer celles de tous les villages où il y avait une famille dissidente. Arrivées à la maison elles se jetaient à genoux, sans parole autour de celle qui dirigeait la prière. Quand une se relevait, une autre, tout de suite, prenait sa place.
Le troisième jour, ce fut l’enterrement, à Saint Ambroise, dans le cimetière des dissidents. Prières, prières. Prières en chemin entre les haies fleuries ; prières dans la chapelle sombre; prières très longues au cimetière… Il n’y avait là ni catholiques, ni protestants mais toutes les maisons dissidentes connues dans la région avaient envoyé du monde. Cette âme qui s’en allait seule, sans viatique, il fallait au moins que la prière des proches lui fit un long cortège.
(les dissidents sont les catholiques ayant refusé le Concordat)
Ce nom remuait Madeleine comme l’autre qui était trop beau et défendu…. Le soir même, elle en parla au vieux Corbier, n’osant s’adresser à Michel.
-- J’ai une chose sur le cœur… c’est à cause du petit. Il m’appelle Nêne, ce mignon. Je ne sais pas si cela vous conviendra, ni si cela conviendra à son père… Si ce n’était pas à votre gré, je pourrais peut-être bien lui faire dire mon nom d’une autre manière.
Dans l’ombre où elle parlait, le vieux ne voyait pas son visage anxieux et ses yeux plein de larmes ; mais il sentait le tremblement de sa voix et il répondit charitablement.
. —Tu t’émeus pour peu de chose, ma pauvre fille. Qu’importe que tu sois Nêne ou Madeleine ? Si tu es bonne pour lui, c’est l’essentiel, et il te reconnaîtra plus tard comme ayant tenu une place de celles qui manquent.
-- Cela, c’est mon grand désir…et je ne me demande pas autre chose ! dit-elle en se sauvant.
A partir de ce moment, elle fut Nêne pour Jo et aussi pour Lalie.
Les Dissidents mettaient toute leur vigilance à échapper à l’enveloppement catholique.
Ils n’avaient plus de prêtres et ils méprisaient les prêtres nouveaux comme on méprise les traîtres. Ils priaient seuls. Par orgueil, peut-être aussi par une crainte obscure de rester en deçà, ils exagéraient leurs dévotions, fêtaient tous leurs saints, doublaient tous les jeûnes, marquaient inexorablement le Carême.
Et, comme au flanc des vieux murs fleurissent les giroflées sauvages et les millepertuis, sur ce christianisme abrupt germaient des hérésies oubliées et même des superstitions lointaines venues d’un passé profond. Des femmes dirigeaient le culte ; des vierges enseignaient les catéchumènes ; et réapparaissaient la croyance au gui guérisseur, la vénération des arbres et des sources.
Pour monter la paille, il y avait sept ou huit gaillards glorieux de leur force. Les secoueurs leur préparaient d’énormes fourchées ; quand ils avaient piqué là-dedans et redressé leur outil, ils disparaissaient complètement et la paille avait l’air de monter toute seule, lentement, le long des hautes échelles.
Elle n’aimait pas Corbier ; elle ne pouvait pas l’aimer encore ! Comme toutes les filles de son âge elle avait eu des galants ; elle en avait remercié plusieurs ; d’autres fois, c’est elle qui avait été abandonnée, elle en avait eu un dépit raisonnable et facile à guérir. Non, elle n’était pas fille à perdre la tête, comme cela, tout d’un coup. Elle n’aimait pas Corbier, elle aimait les enfants et c’était chose douce et sans danger. Bien sûr qu’il était joli homme le jeune patron ! Et si, plus tard, il la priait d’amour honnête, dirait-elle oui, ou dirait-elle non ?
Ce dimanche de juillet Michel était à St-Ambroise et Madeleine gardait la maison. Elle priait, seule, avec les enfants.
Boiseriot, le valet catholique, entra. C’était, à lui aussi, son tour de garde. Il s’assit à la table, disant :
— La soupe !
Madeleine ne se dérangea pas car c’était l’heure de la prière.
— La soupe ! la soupe !
Il prit à tapoter sur la table avec le manche de son couteau. Devant les patrons il n’eût pas osé marquer son impatience à ce moment-là.
Madeleine se leva et, sans lâcher son chapelet, mit silencieusement la soupière devant lui. Puis, comme il souriait de manière déplaisante, elle lui tourna le dos.
Madeleine, c'est péché mortel ! …. Je vous défends cette abomination !
Trois jours durant, ils furent silencieux l'un devant l'autre. A l'heure des repas, Madeleine faisaient manger les enfants et mangeait elle-même, debout, près de la cheminée, sans une parole. Corbier parlait à son père ou à ses valets sans jamais tourner la tête vers sa servante.
(Nêne a essayé de se faire dire "maman" par le petit Jojo qui a perdu sa mère)
Il conduisait ses bêtes par gestes mesurés, sans cris. Il avait pourtant deux bovillons au dressage, mais il les avait placés au milieu de l’attelage et tout de suite enlevés en un si rude effort qu’il les tenait maintenant sans peine, éreintés et craintifs. Même au bout de la raize, les bovillons suivaient docilement les bœufs de tête ; le laboureur n’avait qu’à soulever sa charrue et à la retourner tranquillement sans craindre d’être enlevé par son attelage.
Il s’était imaginé la terre trop sèche et il avait lié trois jougs pour un labour profond. Et voilà que cette façon se trouvait excellente. Il avait mis son régulateur au dernier tour et le soc mordait franchement, très bas. Le « talon » laissait dans la raize une traînée fraîche et les mottes, en bonne trempe, s’émiettaient d’elles-mêmes en croulant au soleil ; un léger hersage et la terre serait prête, fine comme cendre.
À la fin, les paysans avaient été écrasés. Et d’autres gouvernements étaient venus qui les avaient apaisés à ce point que beaucoup avaient admis le nouvel état des choses et prêté serment de fidélité. Seuls, les plus âpres, les moins adroits avaient continué la guerre en leur cœur. Et leurs ouailles les avaient suivis dans leur isolement farouche, dans leur dédaigneuse ignorance des menaces et des excommunications.
Quand elle en sortit elle vit que Georgette était sur un banc, devant la porte avec Jo sur ses genoux : elle jouait avec l’enfant lui faisait des agaceries, le faisait sauter, le berçait.
Madeleine s’approcha mordue de jalousie. Le petit tendit les bras vers elle en criant : Nêne ! Nêne !
Mais Georgette méchamment : C’est moi, ta Nêne mon petit…Embrasse-la, ta Nêne… Il ne faut pas appeler celle-ci Nêne, voyons !
En une seconde, Madeleine fut sur elle, hérissée de colère; sans rien dire, d’une pression de sa main forte, elle dénoua les mains de l’autre, et l’enfant suspendu à son cou, entra dans la maison.