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Critique de Slava


Slava
11 décembre 2020
Nous avons tout été baignés dans l'enfance par les contes de fées, ces histoires fantastiques avec des animaux qui parlent, des princesses aux belles robes, des bonnes marraines aidant leurs protégés en cas de pépin, de loups méchants, de princes sauvant leurs bien-aimées de leurs tours et autres fables au parfum d'antan qui portent tous des traces et influences des mythes de toutes les cultures du vieil monde indo-européen Les Frères Grims et le danois Andersen nous ont ainsi donné des petits chefs d'oeuvres inspirés par les légendes de l'Europe du Nord qui continuent d'être raconté et adapté dans tous les médias à nos enfants.
Pourtant avant le XIXeme siécle, il y eut un français du XVIIeme siécle nommé le Grand Siécle qui fut un des premiers à recompiler les histoires des anciens et les diffuser en papier afin de préserver leurs mémoires : cet homme était Charles Perrault à qui nous devons le Petit Chaperon Rouge, La Belle au bois dormant, le Petit Poucet, Cendrillon, Barbe-Bleu, le Chat-Potté et Peau-D'âne notamment dans son recueil Contes de ma mère l'oye (les puristes et chercheurs me feront remarquer que certains des contes comme la belle au bois dormant a déjà été recensé dans les oeuvres de Giambattista Basile et que c'est plutot lui l'inspirateur de tous ces grands hommes mais je m'attarde plutôt sur le français dont les versions ont pour la plupart fixés définitivement les contes, mes dommages). Ce noble parisien embourbé dans la Querelle des Anciens et des Modernes dont il était le chef de file, ou il proclamait la supériorité des oeuvres modernes par rapport à celles de l'Antiquité s'attirant au passage la colère de Boileau et de Racine, a eu une importante carrière littéraire mais c'est de ce recueil qu'il considérait pourtant comme mineure et qu'il a publié sous le nom de son fils car le trouvant honteux et non convenable pour sa classe aristocratique qui trouverait cela enfantin et peu sérieux, qui l'a rendu célèbre, ayant immortalisé des récits populaires qui manquaient de disparaître. Là encore cependant il y a toujours la vive controverse sur le fait s'il a bien repris les anciennes légendes ou qu'il a déformé par sa vision d'époque et ses valeurs de cour qui se ressentent fortement. Quoi qu'il e soit, sans lui, une partie de la littérature mondiale et de sa richesse n'aurait pas survécu jusqu'à nos jours.
Les Contes de ma mère l'Oye est bien entendu un recueil de contes comme on s'attend mais la particularité est que ce sont avant tout des histoires à morales, des moralités : toujours à la fin d'un récit, Perrault nous instruise d'une morale qui en découle logiquement : cela peut surprendre compte tenu qu'aujourd'hui nos contes ne sont pas accompagnées de morales, qu'on raconte juste pour distraire. Ces morales peuvent parfois paraître très démodées mais ont toujours une sacrée intemporalité et même modernité malgré le canevas antique dont elles sont engoncées. On peut penser à cette morale terrible du Petit Chaperon rouge qui ici se fait purement et simplement dévorer par le loup qui alerte sur les prédateur en tout genre et surtout ceux qui se dissimulent derrière une apparence d'ange : on peut reprocher certes le vice qu'est de mettre la faute sur la victime (une posture toujours hélas en vogue concernant ce genre d'affaire) mais je pense qu'ici c'est surtout alerter sur un danger et en être conscient : où encore la double morale de Cendrillon qui est à la fois de pardonner ses agresseurs et de ne pas succomber à la vengeance et de ne pas se décourager sur son sort car demain on ne vivra plus le malheur.
Les contes de Perrault ont beau être courtois et élégants, reflétant l'esprit de la cour du Roi Soleil, tous ses personnages y compris les plus modestes s'exprimant comme des courtisans de Versailles, elles ne sont pas moins dénudées de violences et de cruauté : pas de viol bien sûr dans sa Belle au bois dormant bien entendu contrairement à la version de Basile certes et les soeurs de Cendrillon ne finissent pas aveugles par les oiseaux picorant leurs globes oculaires comme chez les Grimm... mais que de meurtres et autres morts affreux dedans ! Barbe-Bleu le tueur en série à la pièce remplie de femmes massacrées et qui manque de faire subir le même sort à sa nouvelle épouse, le trépas minable de Fanchon la soeur de l'héroine des Fées condamnée à périr dans les bois, la bouche vomissant de serpents alors que sa soeur qui en parlant donne des perles se marie, ou encore l'égorgement brutal des filles de l'Ogre orchestré par le Petit Poucet. Quand ce n'est pas du sang, c'est plus insidieux, avec notamment la violence psychologique du père de Peau d'Ane voulant la marier avec lui ou le traitement injuste du mari de Grisélidis : il n'est pas étonnant pour ces deux derniers qu'ils n'ont pas beaucoup eu d'adaptations à l'écran (malgré l'excellente version avec Catherine Deneuve pour le premier) étant donné l'amoralité générale de ces deux contes et qu'aucuns des coupables, le père incestueux et le mari indigne, ne soient punis, malgré des happy ends idylliques... une violence qui reflète l'ère du temps mais aussi d'ailleurs et encore aujourd'hui, celles de filles qu'on vend pour un mariage prometteur, de familles qui se détestent par la marâtre sans coeur qui prédomine souvent en tableau, des faibles écrasés par des forts et qui parfois n'arrive pas à atténuer l'ambiance 'féerique' avec notamment le Petit Poucet qui exprime l'horreur de la faim dans tout son réalisme, trace des famines qui hantent encore les siécles modernes que restitueront avec fracas le conte des frères Grimm Hansel et Gretel
En contraste cependant de cette brutalité, nous avons des héros qui s'en sortent avec ingéniosité et bravoure (Barbe-Bleu ou le Chat Potté) parfois par un acte de gentillesse qui leur améliorera leur sort (les Fées ) parfois aussi avec une bonne dose de malice et de ruse (Le Petit Poucet). Des héros qui défient souvent le poids de leur condition sociale et des enchantements. La magie quand elle intervient n'est jamais anodine, signe du destin qu'il peut maléfique (la mauvaise fée ancêtre de Maléfique dans La Belle au bois dormant) ou plus souvent bénéfique : bien sûr la marraine de Cendrillon qu'on y pense mais aussi la fée du conte des Fées qui se déguise en vieille femme ou jeune fille prés de la fontaine pour mettre à l'epreuve les mortels qui la croiseraient, testant au passage leurs bontés intérieurs. Des faibles qui triomphent des forts ou la femme qui échappe de justesse à son époux meurtrier, il y a de manière inconscience à Perrault la revanche des plus petits que pas que les enfants peuvent s'identifier.
Quant à l'écriture de Perrault, elle est fine, distinguée, feignant la naiveté pour masquer sa profondeur, nous donnant l'illusion d'écouter un conteur du village. Elle est en tout cas très fluide et facile à lire, ce qui a contribué à sa diffusion immédiate dans les couches supérieures et plus tard populaires.
En conclusion, un recueil inoubliable pour apprécier les contes dans leur saveur première, avant qu'ils soient adaptés de Disney (qui contrairement à ce qu'on pourrait penser ne les ont pas affadis ni dénaturés ais c'est une autre histoire), que petits comme grands peuvent lire. Une belle pièce de la littérature du Grand Siècle qui a réussi à devenir éternelle et qui continue d'être lue par tout le monde même des siècles après et que les générations ayant grandis sous les films de la firme américaine désireux d'en découvrir les sources de ces histoires passionnantes. Et si possibles avec les gravures du fabuleux Gustave Doré qui ont contribué davantage à renforcer l'aspect captivant et surréel des contes.
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