Curieusement, lorsqu’elle sortit du lit, la chambre n’était pas aussi froide qu’elle l’avait craint. Apres avoir rajouté plusieurs mottes de tourbe, elle ouvrit les rideaux et admira le paysage qui s’étendait sous ses yeux. Le panorama était proprement à couper le souffle. Le ciel charriait des nuages qui défilaient tel le reflet déchaîné de l’eau grise et houleuse de l’océan aux vagues festonnées d’écume. Au fond à droite se profilait une longue pointe de terre hérissée de roches noirs et dentelés. Devant elle, la marée haute menaçait la plage de sable.
A gauche s’étendait un paysage plus doux dans une alternance de sable et de rochers, dont les contours se mêlaient avant de disparaître derrière un bandeau de pluie. C’était une région rude et sauvage mais qui possédait une beauté qu’aucun paysage immobile n’aurait pu égaler.
Elle décida d’explorer la maison, dont aucune porte n’était fermée à clef. Elle passa de la salle à manger à la bibliothèque, dans laquelle étaient alignés des centaines de livres. Tout en examinant les titres, elle en prit quelques-uns au hasard sur les étagères. Il ne lui fallut guère de temps pour comprendre qu’au moins la moitié d’entre eux avaient appartenu à Hugo Ross, dont le nom était inscrit sur la page de garde. Ils traitaient de sujets auxquels Susannah ne se serait probablement jamais intéressée sans l’influence de son mari : archéologie, exploration, animaux marins, courants et marées, ainsi que plusieurs livres sur l’histoire de l’Irlande. Elle remarqua également plusieurs volumes de philosophie, et un nombre impressionnant de grands romans d’auteurs anglais, mais également russes et français.
Emily en vint à regretter de n’avoir pas connu l’homme qui les avait rassemblés et si manifestement appréciés.
Comment savoir ce que vous êtes capable d’accomplir si vous ne vous en donnez pas la peine ?
Parfois, les légendes avaient plus d’importance que la réalité, les rêves plus que la vérité.
- Ah, Mrs Radley ! fit-il en s’avançant vers elle la main tendue. C’est très aimable à vous d’être venue jusque chez nous, surtout en cette période de l’année. La traversée n’a pas été trop pénible ? Le Seigneur a placé une mer entre vous et moi afin que nous soyons d’autant plus reconnaissants de vous voir arriver indemne sur l’autre rive.
Elle termina son courrier et, a onze heures, alla rejoindre Susannah et Maggie, avec lesquelles elle but une tasse de chocolat. Entre le vent qui gémissait et la pluie qui s’abattait en rafales sur les vitres, se retrouver assise à la table de la cuisine devant des biscuits, une boisson chaude dans les mains, lui fit l’effet d’être revenue aux douceurs de l’enfance.
Toute sa vie, elle avait vu dans le fait d'être anglaise, une bénédiction, comme d'être beau ou intelligent, une grâce qu'il fallait prendre à la manière d'un honneur sans jamais la remettre en question.
— Savoir de qui il s’agit ne vaut-il pas mieux que de suspecter tout le monde ?
Immobile au milieu de son élégant salon, Emily Radley réfléchissait à quel endroit placer le sapin de noël pour qu'il soit le mieux mit en valeur. Les décorations étaient déjà prévues : les rubans, les boules de couleur, les guirlandes, les stalactites en vers transparent, les oiseaux scintillants rouges et verts. Au pied de l'arbre seraient déposés les cadeaux emballés dans des papiers éclatants qu'elle destinait à son mari et à ses enfants.
La maison entière serait illuminée de chandelles et décorées de couronnes de houx et de lierre. On disposerait des coupes de fruits confits, des noix dans des plats de porcelaine, des pichets de vin chaud aux épices, des assiettes de tartelettes aux fruits secs, des châtaignes rôties... Et, comme d'habitude, de grands feux de buches de pommier flamberaient dans les cheminées en dégageant une délicieuse odeur.
La légère distance qu’elle mettait entre elle-même et le monde laissait deviner une profonde vulnérabilité.