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Critique de Christw


Titre racoleur, mais l'éditeur, le format, la sobre présentation inspirent confiance. D'autres titres de Georges Picard font ce genre d'oeillade : "Du malheur de trop penser à soi", "Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas", "Le vagabond approximatif", "L'hurluberlu ou la philosophie sur un toit". S'il ne s'y expose pas de la philosophie de haut vol, beaucoup en feront la leur, si ce n'est déjà le cas.

L'auteur a jadis fréquenté avec zèle les Hegel, Kant et Derrida, les philosophes qui "se mêlent de nous conter des fictions théoriques dans un langage de bête à concours", les "textes à lire le crayon à la main". Il leur doit de beaux moments de spéculation et de rêverie, mais il considère aujourd'hui que cette philosophie "peut combler ceux qui ne se font pas trop d'illusions sur les vérités qu'elle prétend établir". On le comprend vite, après quelques pages, Picard ne décolle plus vers ces hauteurs, pour se contenter de dire ce qu'il pense à soixante ans, ou si l'on préfère, ce à quoi il ne croit plus guère, à la manière d'un râleur misanthrope, pourfendeur d'intellectuels péremptoires et autres cuistres bavards instruits.
[...].

Lorsqu'il tente de s'attacher des idées, Picard est embarrassé devant les questions difficiles et "reste au milieu du gué", non par indifférence mais tenaillé par les remords de conscience. Il remarque que la plupart des gens qui vont au bout des leurs commencent par les conclusions pour inventer les arguments qui y mènent. Pas de quoi être épaté.
Il voudrait, par exemple, que les peuples sous-développés sortent vite de leur misère, mais ne veut pas que l'atmosphère planétaire sature en CO2. La croissance en même temps que la décroissance. Il ne sait pas croire à une croissance non polluante, car il fonde peu d'espoir sur la cupidité et la bêtise humaine.
Le quidam Jean Foutre – vous connaîtrez aussi le fonctionnaire Connard Fini si vous prenez ce livre – n'aime pas les immigrés venus s'ajouter aux chômeurs déjà nombreux chez nous. Mais ce monsieur fait travailler en noir un ouvrier syrien sans papiers, car il doit bien vivre, non ? Et puis la TVA est élevée. "Crétin qui applique comme tout le monde les règles d'une logique à plusieurs entrées. À son médiocre niveau, c'est un exemple de la difficulté de penser."

Gouverné par une paresse qui n'est pas sybaritisme, sous les auspices de Montaigne qui préfère l'examen du cas particulier à la pompeuse certitude idéologique, ce livre, ni essai ni journal ni roman – un peu des trois ? – est une lettre à un ami de longue date, Martinu, auquel il répond après des années de silence, prétexte pour faire le point. À ses côtés, sa femme Isa, journaliste qu'il admire voir démonter une affaire de corruption, et à laquelle il donne sa lettre à lire, à défaut du livre qu'elle voudrait lui voir écrire (facétie de l'auteur, nous l'avons entre les mains). Puis il fréquente Lydie, jeune poétesse dont il apprécie l'enthousiasme lyrique et la détermination détachée des ambitions. Pour démentir son propos général, Picard croit en ces gens-là.

À se montrer non constructif, à forcer le trait, Picard finirait par prendre la pose. Lorsqu'il dénonce, à propos de la télévision, "la bêtise arrogante qui s'y étale", lorsqu'il pouffe en y écoutant "les donneurs de leçons médiatisés", il a raison mais la vision simpliste est en contradiction avec ses difficultés pour apprivoiser des convictions. Je ne crois pas que la télévision, qui plus est aux heures de grande écoute, soit le lieu pour entendre des analyses politiques ou idéologiques fines. L'écran médiatique, devenu pur divertissement, n'est pas (plus) l'endroit.

Ce sera l'une des nuances mais lorsque ses imprécations atrabilaires ennuient, deux pages plus tard, à propos de sa nouvelle résidence à la campagne, Georges Picard écrit "...la solitude n'est nulle part, nous devons la gagner sur tout, même sur le désert et le silence." Et l'on se réconcilie avec l'adorable misanthrope, presque contrit de l'avoir dénigré...
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