LE RÊVE DU POÈTE
Je voudrais abriter mon rêve sédentaire
Dans une maison blanche, auprès d’un jardin frais,
Où quelque puits serait ouvert à fleur de terre,
À l’ombre large et magnifique des figuiers.
J’y saurais la beauté des montagnes antiques,
Des sommets de l’Albère aussi bleus que le ciel,
Et, sur le seuil aimé des vents aromatiques,
Des chansons de ramiers et des senteurs de miel.
Mon amie, une enfant de race sarrasine,
Y grandirait superbe et marcherait pieds nus ;
Son amour simple et ses caresses enfantines
Seraient doux à goûter comme un fruit défendu.
L’air marin aurait fait sa taille vigoureuse
Et son corps demi-nu, brûlé par chaque été,
Remplirait tout le jour notre demeure heureuse
De parfums enivrants et de fauves beautés.
Par la fenêtre grande ouverte sur la rive,
Monterait jusqu’à nous la rumeur de la mer
Dont la sonorité traînante et maladive
Réveillerait tous les désirs de notre chair.
Nous verrions s’en aller des voiles sur la rade,
Tandis que la chaleur propice du soleil
Ferait mûrir les graines roses des grenades,
Les muscats roux et les figues au cœur vermeil.
Une flûte de pâtre au tendre crépuscule,
Qui serait l’âme du paysage enchanté,
Se mêlerait au vent du soir dans la ramure,
Et ce serait la paix des claires nuits d’été !
JEUNESSE
Je suis né au pays du soleil et du sang,
Dans les murailles d’une ville catalane,
Que des ruisseaux d’eau vive arrosaient longuement
Et qu’abritaient de beaux ombrages de platanes.
Mes yeux d’enfant n’ont eu longtemps pour horizon,
De la fenêtre ouverte aux campagnes heureuses,
Que l’azur lumineux et doux de quelques monts,
Où ne fondaient jamais les neiges radieuses.
Comme un dieu, j’ai vécu sous des soleils brûlants
Qui faisaient éclater les grenades trop mûres,
Et perler du miel d’or aux fruits des figuiers blancs !
Et mon âme adora tes suaves murmures,
Heureuse de porter en soi tout l’univers,
Voix puissante et mélodieuse de la mer !