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Citations sur Nos mains en l'air (33)

Moi je pense qu'il n'y a jamais assez de jours pour penser à vous, alors je veux fêter tous les anniversaires possibles, les joyeux comme les tristes. De toutes façon, même la joie a un goût de tristesse depuis que vous avez disparu.
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Yazel prend le chemisier beige et la jupe bleu marine sur la pile de vêtements parfaitement repassés qu’Anita, la femme de ménage a déposés sur son lit. Elle les humidifie, les roule en boule, et pose un gros dictionnaire dessus pour s’assurer qu’ils seront méticuleusement chiffonnés d’ici le lendemain.
Sa tante entre dans sa chambre. Petite et fluette, élégamment habillée d’un tailleur de couturier, elle est belle. Ou disons : esthétique. D’une beauté glaciale et factice qui ne laisse pas de prise au hasard. Ses traits sont réguliers, sa bouche est parfaitement dessinée, discrètement soulignée d’un trait de crayon. Un carré long parfaitement lissé, parfaitement et chimiquement bruni, encadre son visage hâlé, dont la peau bénéficie des traitements anti-âge les plus onéreux. Tout est choisi avec goût, précision, et un bon paquet d’argent.
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- Moi, je n’ai pas d’argent, mais mon oncle et ma tante en ont plein. Je peux vous dire où il est.
- Je sais qu’ils en ont, répond Victor. Mais je ne veux pas savoir où il se trouve. Ne me dis rien.
- Pourquoi ?
- Si je leur prends, c’est du vol. C’est moralement honteux, légalement répréhensible, et c’est un moyen odieux de gagner sa vie.
- Oh, vous savez, ils en ont tellement, de l’argent, que je ne sais même pas s’ils s’en rendraient compte, dit Yazel.
- Peut-être, mais ils l’ont durement gagné.
Yazel éclate de rire.
- Tu rigoles ! Leur argent n’est pas durement gagné, il est gagné en profitant de la vulnérabilité de gens malades pour leur vendre des médicaments très chers et inefficaces aux effets secondaires scandaleux.
- Ton oncle et ta tante travaillent pour un laboratoire pharmaceutique ?
- Mon oncle est propriétaire d’un laboratoire pharmaceutique, précise Yazel. Ma tante, elle, elle dépense l’argent gagné par mon oncle. Elle mange du caviar et boit des cocktails avec ses copines en se moquant de ses autres copines.
- Il y a une citation géniale d’un auteur de théâtre sur ce sujet. Brecht, je crois. Il disait quelque chose comme : il y a pire que de braquer une banque, c’est d’en fonder une.
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Victor n'ose pas non plus allumer la radio ou mettre de la musique, de peur de gêner Yazel. L'inconnue que représente sa surdité fait naître des craintes nouvelles et des sentiments contradictoires chez lui. Il voudrait la considérer sans égards particuliers, mais en même temps sans qu'elle se sente négligée parce qu'il n'aurait pas pris en compte ses difficultés. Et puis il ne peut pas non plus se défaire de cette envie de la protéger, comme si c'était une petite chose de cristal. C'est idiot.
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- Alors tu es quoi, déficiente auditive ? Malentendante ?
- Non, je suis sourde.
- Ah. Mais ce n'est pas un terme très sympa, si ?
- Pourquoi ça ne serait pas sympa ? C'est comme si tu me disais que c'est blessant de dire que tu es un garçon.
- Honnêtement, quand je vois le comportement de certains garçons, ça l'est parfois.
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A chaque fois qu’elle rit de ses tragédies, Victor se prend un poing dans le ventre et pense aux centaines de poings dans le ventre que Yazel s’est pris, et qui ne l’empêchent pourtant pas de se tenir si droite et d’être si légère. Il a envie de pleurer pour elle, de hurler.
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La spontanéité empêchée rend le silence plus consistant, se dit Victor, on cesse de le remplir avec du bruit inutile.
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Victor passe sa main sous les mailles fines du collant qu’il a enfilé sur sa tête et se gratte vigoureusement l’arrière du crâne. Il a l’impression de s’être douché avec du poil à gratter. Le tissu appuie sur ses lunettes, dont le verre gauche s’écrase sur ses cils, ce qui déforme légèrement le monde autour de lui. Victor cligne sans cesse des yeux pour essayer de faire le point.
– Tu aurais quand même pu choisir un collant de meilleure qualité, lance-t-il à son père.
– Tu pourras t’acheter tous les bas en soie que tu veux quand tu auras réussi un braquage, mon fils. En attendant, tu te contenteras du premier prix.
Derrière eux, Martial et Achille, ses deux grands frères, éclatent de rire sous leurs bas chics. Ça leur donne l’air d’aliens décharnés.
La famille Kouzo a développé une véritable culture du collant et du bas – dont on étudie avec précision la douceur, l’élasticité ou encore le degré de transparence –, qui jure étrangement avec l’autre grande culture familiale : la virilité.
Dans la voiture aux vitres fumées où ils attendent l’ouverture de la banque, Victor a l’impression d’être dans une vieille salle de sport étouffante.
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Victor sort son manuel de LSF et reprend, studieux, ses exercices silencieux. De l'autre côté, Yazel continue les aventures d'Arsène Lupin. De part et d'autres du mur, chacun tente d'apprendre la langue de l'autre, l'enfance de l'autre, chacun se familiarise avec ce qu'il pense être la galaxie de l'autre.
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Il y a quelque chose de neuf entre eux. En fait, il y a tout le temps quelque chose de neuf entre eux. Comme si chaque journée était un nouveau fragment de vie, une renaissance. C’est peut-être l’effet du voyage, du mouvement. Se réveiller presque chaque jour dans une nouvelle ville, sans rien d’autre de familier que l’un pour l’autre, comme s’ils flottaient ensemble à la surface de l’existence. Est-ce que c’est cette sorte de douce ébriété que recherchent celles et ceux qui voyagent beaucoup ?

C’est peut-être aussi l’ébahissement d’être encore ensemble, d’être encore là, d’être encore libres, et les contours de l’autre qui continuent à se dessiner plus précisément et à dévoiler leurs subtilités et leurs secrets, comme si de nouveaux membres leur poussaient, avec cette impression qu’ils n’auront pas assez d’une vie pour se connaître vraiment.

Mais à quel moment commence-t-on à savoir qui est l’autre ? Et puis ça veut dire quoi ? Même si elle ne parvient pas à le dessiner, Yazel connaît incontestablement mieux Victor, qu’elle a rencontré il y a une semaine, que sa tante avec qui elle a vécu pendant cinq ans.

Elle repense à ce que disait sa prof de dessin au collège : ne dessine pas ce que tu veux dessiner, dessine les creux, le vide, les absences, le silence. Ça, elle sait faire, regarder le silence.

Alors elle tourne la page et […] dessine ce qui ne se fige pas : la main de Victor qui bouge, la mélancolie qu’elle croise souvent dans son regard, la timidité de ses joues, sa peur de blesser, son air de s’excuser tout le temps. Elle dessine ce qu’elle sait de lui et ce qu’elle ne sait pas, ses silences et ses absences.

[…] En fait, ce qu’il y a de neuf entre eux, c’est ce nouveau silence. Un silence d’une autre texture, d’une densité différente, qui vient oxygéner leur bulle. Ce n’est plus le silence de l’incompréhension, de la fatigue, de la gêne, c’est un silence léger et habité, un silence qu’ils partagent. Peu importe qu’il soit parfois laborieux, maladroit, ou plein de quiproquos. C’est un silence qui les lie, et qui ne lie qu’eux, comme une petite île au milieu de l’océan.
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