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Citations sur La motocyclette (3)

A tout bien considérer, ne pourrait-on croire que c'est une sorte de chasse-neige ou de charrue dont l'on tient le guidon, et qu'en s'enfonçant comme un coin dans le paysage il crée sa propre piste ? La tentation à laquelle il faut résister est de prendre une direction oblique, pour creuser à travers les vaux et les monts de la belle Allemagne une tranchée qui directement aboutisse à la terrasse où va déjeuner Daniel. Rebecca s'est habituée à la vitesse; elle n'éprouve aucune difficulté à garder son allure, aucun malaise à être ainsi projetée. Un certain bien-être, au contraire, s'est affirmé dans son corps et dans sa conscience. Son équilibre est aussi solide que si elle était de fer ou de cuivre poli, et rivée, la gorge en pointe, à l'avant d'une locomotive. Pour le perdre, le voudrait-elle, elle devrait se donner du mal assurément. Les soins du pilotage sont réduits à peu: il suffit de se tenir ferme au guidon qui se tient droit tout seul, de serrer les cuisses sur le réservoir (le ventre d'ébène), de serrer les jambes et de maintenir à bout les commandes. Un enfant n'y faudrait pas. Quelle sérénité ! Rares sont les voitures qui vont dans la même direction que la sienne, et elles vont sagement, sans déboîter de la bande à lente allure. Quand elle est sur le point de rattraper l'une d'elles, il semble qu'au lieu d'aller celle-là vienne à sa rencontre, par l'arrière; c'est malaisément qu'on la distingue du décor latéral, dont tous les points semblent venir pareillement. La voie donc est libre devant Rebecca, comme si elle courait dans ce désert jalonné auquel elle a songé tout à l'heure. En se courbant, pour offrir moins de résistance, elle frôle des seins le tableau de bord à l'endroit de la clé, elle est monstrueusement accouplée à la machine, et le gros phare prolonge son corps ainsi que fait la tête du cheval en avant et au-dessous de celle du cavalier, à l'approche de l'obstacle à sauter. Telle position ne laisse pas à portée de sa vue le cadran du compteur, mais tant pis. Connaître exactement la vitesse à laquelle elle est lancée ne lui importe plus depuis qu'avec l'habitude elle a trouvé la paix et qu'elle se sent dans le vent brutal comme en l'air pur des cimes.
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Dormait-il vraiment encore, ou bien s'il s'était aperçu qu'à son côté le lit était vide, quitté depuis peu à juger par la tiédeur des draps ? Pouvait-il n'avoir pas entendu le bruit du moteur, mis en marche à quelques mètres de la chambre ? Sa capacité de simulation, quand il avait décidé de ne pas se fâcher et pour cela d'ignorer ce qui se faisait contre lui de blessant, était si loin au-dessus de la patience la plus exemplaire qu'on ne savait plus s'il fallait lui donner du sublime ou bien le traiter d'insensé ou d'idiot misérable.
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  Maintenant que les cris d’oiseaux se sont tus, et
qu’il faut faire attention à conduire prudemment la
motocyclette, car un cycliste pourrait déboucher
comme un fou à cette heure où les rues n’ont pas de
circulation, Rébecca Nul se détache peu à peu du
rêve avec lequel son départ est si étroitement lié qu’il
se distingue à peine des choses de la nuit. Ainsi allait
son rêve, ou du moins ce qu’elle se rappelle encore :
elle se trouvait portée par l’une des hautes branches
d’un arbre très haut, sous un ciel inégalement
sombre, comme si le soleil n’arrivait pas à percer les
nuages, et elle avait conscience d’avoir été mise là
pour figurer la fleur de l’arbre et pour offrir son épa-
nouissement au soleil quand les rayons triomphe-
raient du brouillard. Des oiseaux volaient autour
d’elle, plongeaient et remontaient ; d’autres étaient
perchés à portée de ses mains. Plus bas, un homme
qui dans le rêve était son mari, Raymond, mais qui
ne lui ressemblait pas, grand, maigre et dégingandé
tandis que le véritable Raymond est un peu courtaud,
s’avançait avec des manières de chat sur l’une des
maîtresses branches, et dans son allure il y avait une
menace assez notable. Alors elle avait fait un violent
effort pour se dégager du règne végétal et pour
reprendre la faculté de se mouvoir, la capacité de
donner l’alarme. Avec une émotion intense, elle
s’était entendue prononcer les mots « pilleur de nid »,
cependant que se déchirait brusquement le tissu de
son rêve, et qu’elle se retrouvait au lit, toute raide et
la gorge serrée, à côté de Raymond qui avait grom-
melé comme en réponse et s’était tourné vers elle
sans cesser de dormir. Pourtant un bruit de volière
entrait dans la chambre, car la fenêtre n’était pas
fermée, c’était l’aube, et plus de cent oiseaux chan-
taient à plein gosier dans le jardin. La petite maison
qu’avait louée Raymond Nul était bâtie en dehors
de Haguenau, sur la route de Bitche, non loin de la
forêt. ...

p.9-10
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