Szonja, une jeune hongroise calme et réservée ayant grandi à la ferme, et Marieka sa cousine, ont pris, un matin de 1929, un aller-simple Budapest-Lyon où les attendent désormais un nouveau destin, celui d'ouvrières d'une usine de viscose en France, à Vaulx-en-Velin. Une nouvelle vie les attend, celle de femmes immigrées dans une cité ouvrière au moment de la grande et terrible crise de 29.
Je me suis rapidement attachée à Szonja, cette jeune femme de vingt ans, taiseuse, facile à vivre, une suiveuse plutôt qu'une meneuse, qui est pourtant capable de quitter sa famille, son pays pour partir sans rien, vers un avenir inconnu et très incertain, à une époque où fermer la porte de la maison familiale signifiait souvent dire adieu aux siens pour…toujours. Pas d'internet et d'apéritifs en ligne sur zoom !
Paola Pigani a choisi comme porte d'entrée dans son récit –écrit de façon chronologique– la porte féminine. Ces héroïnes courageuses et méritantes sont bien sûr accompagnées d'hommes, mais c'est à travers leur regard de filles que l'autrice a voulu nous plonger dans l'histoire de l'industrie des années 30.
Notre héroïne se met donc consciemment en route vers un avenir qu'elle espère meilleur. Pourtant, à part cet acte de départ qu'elle a posé, elle subit plutôt qu'elle n'agit. Elle dit même « nous avons la volonté, la volonté du contentement, juste du contentement ». La hiérarchie est claire sur les attentes envers ces ouvrières : « on n'attend d'elles ni preuves d'intelligence, ni esprit d'initiative. »
Elles sont embauchées pour travailler dur dans des conditions atroces, sans aucune sécurité, ni de l'emploi, ni de salaire, ni même de protections quant à l'inhalation, aux intoxications ou aux brûlures dues aux produits chimiques, nécessaires à la transformation de la pâte de bois qui deviendra la cellulose, à partir de laquelle les femmes fabriqueront du fil.
Leurs salaires sont de loin inférieurs à ceux des hommes. Cette évidence résonne toujours à nos oreilles, comme un vieil adage, comme si nous avions réglé en un siècle nombre d'injustice mais que celle-ci restait le dernier rempart d'une société machiste. Hommes et femmes employés de la Sase, leur usine, viennent de nombreux pays et se mettent à parler entre eux une langue colorée, métissée. Szonja lie une forte amitié avec l'italienne Elsa, extravertie, gaie, chaleureuse.
Six jours sur sept, les ouvriers triment, les femmes sont logées dans un foyer tenu par des religieuses, l'office religieux est plus que conseillé, les brimades et punitions sont le menu quotidien. Mais le septième jour… leur appartient. Szonja cherchera d'abord à se ressourcer seule, mais rapidement elle partagera les moments simples et vrais avec les autres, au bord de la rivière, à piqueniquer, danser, rire et jouer. « C'est la loi du dimanche : marcher, respirer, dormir, aimer à son aise ».
Rien ne viendra entacher cette loi, pas même la terrible crise de 29 et les licenciements, qui dès 1931 toucheront d'abord les étrangers, les femmes, et feront d'eux des travailleurs en « chômage partiel », non rémunérés !
Je dirais de ce livre qu'il raconte des vies dures…oui mais ! Rien n'est jamais tout blanc ou tout noir. La vie ne peut être un ascenseur vers le haut ou un toboggan vers le bas.
D'une part, l'ambiance lourde, pesante, instable due au fascisme grandissant, à une guerre que l'on sent menacer, à une pauvreté du prolétariat. D'autre part, le moment présent que ces gens acceptent de vivre, sans penser en boucle à leur passé et sans spéculer sur un futur dont ils n'ont aucune idée. Ce qui les sauve est donc leur état d'esprit, leur capacité à vivre « ici et maintenant ». J'ai pris conscience à travers cette lecture que le petit nombre d'entre eux qui ne parvient pas à vivre dans l'instant présent ne fait pas de vieux os ! Aujourd'hui, nous parlons de burn-out, conséquence, entre autres, d'une incapacité à vivre le présent…
Paola Pigani nous instruit dans ce livre. Elle nous fait vivre la naissance du front populaire. Les personnages seront de cette lutte, et nous, lecteurs, avec eux.
Je m'attendais à trouver dans ce livre une forte intrigue, concernant les personnages, mais j'y ai trouvé en fait le rythme du quotidien. J'ai compris que l'histoire d'un seul ou d'une seule d'entre eux n'était pas au coeur du livre. C'est le destin des ouvriers, le destin des femmes, le destin des étrangers, le destin d'un peuple entier qu'a voulu porter
Paola Pigani et non l'histoire romancée d'une femme.
Si je n'avais qu'une phrase pour résumer ce livre, elle serait : du combat pour la subsistance au combat pour la dignité, avec pour alliés la fraternité journalière, les petites joies simples et vraies, l'audace et le courage d'avancer.
Je n'ai pas eu LE coup de coeur mais l'envie d'en découvrir plus de
Paola Pigani.