Et ils dansaient le dimanche, parce qu'il n'y avait qu'un dimanche par semaine et les autres jours s'était la graine qu'ils allaient gagner comme on peut.
Avant 1936, avant les congés payés, le fixe mensuel, et l'indemnisation des accidents de travail, comment c'était ?
Dans la période d'entre deux guerres le monde s'industrialise. On automatise, on systématise c'est le prélude du fordisme dans les usines. Elles avalent des hommes et des femmes par milliers, les lobotomisent, les réduit à un geste, les même gestes répétés à l'infini dans des conditions d'hygiène et de salubrité déplorables. On lutte contre les émanations chimiques avec un verre de lait et contre l'ennui du geste répété par l'oubli de soi. Devenir ouvrier c'est être dépossédé de son corps, réduit à un outil de travail, un rouage de la machine. L'ouvrier est étranger à lui même il ne s'appartient plus. S'ajoutent à cette déshumanisation les humiliations des chefs, la colère contenue, les amendes pour une maladresse, un mauvais geste quand l'homme renaît derrière la machine et oublie de s'oublier. Les accidents de travail n'existent pas, seuls les inattentions et les erreurs des ouvriers sont en cause. Les machines et les patrons ne commentent jamais d'erreurs. Les maladies professionnelles sont un manque de chance, on s'empresse d'enterrer les morts et d'oublier pour ne pas sombrer.
On use les ouvriers comme les pièces des machines, des corps prêts à broyés dévorés par l'usine. Ce monstre qui se nourri des vies des ouvriers, ce monstre qui est leur seul horizon. Pourvoyeur de logements, de jardins ouvriers, il imprègne tout de son odeur, pose sa marque indélébile sur les esprits et marque les corps.
L'usine c'est un abrutissement organisé. Un entre soi savamment orchestré. On casse les corps et on brise les rêves. L'être humain ramené à l'essentiel : manger, dormir, de loger.
Mais ces ouvriers venus de Hongrie, d'Italie, d'Espagne, d'Arménie et d'ailleurs ont fuit quelque chose de bien pire pour la plupart : le fascisme, la famine, la guerre… Ils ont la foi en leurs rêves chevillés au corps et petit à petit la révolte gronde. Dans ce roman historique
Paola PIGANI nous parle des ouvriers immigrés et surtout des ouvrières. Ces femmes qui ont quitté leur pays qui arrivent dans un univers inconnu, se débattent avec une langue inconnue, sont payées moins bien que les hommes. Ces femmes qui n'ont pas le droit de vote, pas encore, qui tentent de se faire naturaliser, qui aiment mais qui doivent se raisonner. La raison avant le coeur.
Ces ouvriers solidaires et portés par leurs rêves et leur courage vont faire l'Histoire et changer leurs vies et les nôtres, en occupant les usines, en revendiquant en osant demander de vivre dignement et non plus de survivre.
Paola PIGANI a su insuffler de la poésie dans ce pan de l'Histoire dominé par la politique et les luttes intestines des syndicats. Elle a mis sur le devant de la scène la vie de tous les jours en utilisant sa plume douce et mélancolique, offrant ainsi des moments de grâce. Malgré un récit raconté à la troisième personne, j'ai été immergée dans cette citée ouvrière d'une époque pas si lointaine.
En racontant l'histoire de Szonja, Bianca, Elsa, Marco, Andor, Jean et les autres
Paola PIGANI nous rappelle qu'au delà des syndicats, du Front populaire et de ce que les livres d'Histoire retiennent, il y avait des hommes et des femmes, souvent venus de loin, une solidarité inébranlable, des idéaux, et une soif de vivre qui longtemps n'a pu s'exprimer qu'en dansant le dimanche.