Novembre 1978 Vung Tham, Vietnam : c'est la dernière soirée, le dernier repas en famille d'Anh. Saïgon est tombée, depuis trois environ et les dernières troupes américaines se sont retirées pour laisser place au nouveau régime.
Le père, professeur d'anglais, a décidé qu'il était temps pour la famille de quitter le Vietnam, où l'emprise communiste s'installe traquant toutes les personnes suspectées d'entente avec l'ennemi, les USA. Il compte rejoindre avec les siens et leurs économies son frère qui vit en « Amérique où la vie semble merveilleuse ». Il envoie d'abord Anh, son aînée et les garçons, Thanh et Minh et compte les rejoindre ensuite.
Après un voyage difficile, où la frêle embarcation menace à tout moment de chavirer, dans la mer de Chine, ils arrivent épuisés, leurs habits en loques à Hong Kong où ils sont examinés par des médecins qui ne parlent pas leur langue et se retrouvent dans des « bungalows » entassés dans des conditions d'hygiène précaires. Mais d'autres ont eu moins de chances, des malfrats de l'île de Ko Kra ayant tué les hommes et voué les femmes à la prostitution…
Là ils sauront si on leur permet de partir vers l'Occident ou si on risque de les renvoyer au Vietnam. Quelques mois plus tard, le reste de la famille est retrouvée morte, noyée pendant la tempête qui a fait chavirer le bateau : le père la mère, les frères et soeurs parmi lesquels Dao dont le fantôme va veiller sur les aînés et c'est Anh qui doit reconnaître les corps.
Anh sent la colère montée contre l'idée de son père d'avoir décidé cet exil sans l'avoir assez préparé, et surtout contre son oncle d'Amérique qu'elle juge responsable de cette folie et lorsqu'on lui demande si elle et ses frères doivent rejoindre de la famille quelque part, elle répond qu'ils sont tout seuls. Alors ce sera la Grande Bretagne.
Anh se trouve propulsée brutalement dans le monde des adultes et devra prendre soin de ses frères et tenter de construire une nouvelle vie, rencontrant au passage des personnes, des associations qui vont les aider, mais aussi d'autres exilés. Sopley Hampshire. On imagine la frilosité de Mme
Thatcher pour recevoir ces migrants issus des boat people sur l'insistance du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés.
L'histoire se déroule sur plusieurs périodes, entre 1967, 1978, jusqu'à nos jours. On suit le périple de la famille, en ajoutant des descriptions de scènes pendant la guerre, notamment l'opération « Âmes errantes » en 1967, basée sur les rituels : la nécessité d'enterrer les morts dignement sinon, ils deviennent des fantômes, des âmes errantes.
De temps en temps, le récit est interrompu par une réflexion, on devine que quelqu'un essaie de raconter l'histoire de ces réfugiés ou de cette famille, car cette personne évoque les clichés pris à l'époque des boat people, des exactions au Vietnam, ou encore la notion de stress post traumatique, la capacité à faire le deuil mais l'auteure fait durer le suspense. Or, Anh en a dit le minimum sur son odyssée, préférant l'action et l'oubli mais l'oubli est-il vraiment possible et on sait bien que les souvenirs referont surface un jour ou l'autre…
J'ai beaucoup aimé suivre le parcours d'Anh, la manière dont elle tente de protéger ses frères, de les stimuler pour qu'ils fassent des études, qu'elle n'aura pas pu faire, il faut travailler pour nourrir les garçons qui se rebellent parfois « tu n'es pas ma mère » … Sa capacité de résilience force l'admiration, sa manière de prendre la vie à bras le corps malgré l'accueil mitigé réservé aux « Chinois » ! les réflexions racistes parfois, la culpabilité d'avoir survécu et malgré tout l'envie de se construire une nouvelle vie de femme, fonder une famille…
Ce récit m'a beaucoup touchée, je connaissais bien l'histoire des boat people qui faisaient la une des journaux et des JT à l'époque, images qui nous laissaient impuissants parfois même voyeurs et commençaient à nous faire prendre en grippe celle qui deviendra plus tard premier ministre.
Cécile Pin a très bien su, par la méthode narrative qu'elle utilise, nous raconter l'histoire de cette famille, (il s'agit, je pense de l'histoire de sa propre mère, étant donnée la précision des évènements, les détails) en se livrant en parallèle à une réflexion historique et philosophique sur l'époque et cela dans le contexte migratoire actuel qui génère tant de propos haineux au nom du populisme…
Parmi les évènements qui m'ont marqué : le rituel funéraire, avec la nourriture posée sur l'autel destinée aux défunts, sous la fumée de l'encens… ou encore la scène où le chauffeur de car trouve des cadavres de migrants dans son camion …
Ce premier roman est passionnant et très prometteur. Il laissera une empreinte particulière dans ma mémoire, c'est certain.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m'ont permis de découvrir ce livre et la plume de son auteure.
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