J'avais grandi dans la méfiance, et tout m'y ramenait. Il ne fallait pas se risquer de vivre.
Ecrire était ma seule échappatoire. J'écrivais pour fuir, j'écrivais pour annuler. Ecrire la guerre l'annulait. Ecrire effaçait les autres rumeurs, éloignait les acouphènes. Les mots me façonnaient, me caressaient, m'accueillaient, m'obéissaient et me pansaient. Ils étaient mon unique possibilité de tendresse.
Ma mère n'était pas quelqu'un qui raconte.Ses paroles étaient soit des ordres,soit des récriminations.Des plaintes ou de l'information.
« Coule, caressante, âme que nul ne connaît, murmure que nul ne peut voir derrière les longues branches inclinées. »
Fernando Pessoa
C'est vers lui que je partais.Il fallait bien commencer par quelque chose.On commence rarement par ses racines
« (…) Je m’appelle Antoine pour essayer de vivre ici. Là-bas c’était pour me cacher, ici c’est pour vivre. – Alors tu continues à vivre en clandestin ? – Non. Tu ne peux pas comprendre. (…) – Moi je m’appelle Josèphe, et ici c’est un nom de garçon. – Tu vois, toi aussi tu aimerais changer de prénom », me dit-il en riant. « Oui », répondis-je sur le même ton. Puis, subitement grave, comme si un poids s’était abattu sur moi. « Mais je ne peux pas. – Et pourquoi pas ? Et si je t’appelais… Théa, ça te plait Théa ? »
Je dis prendre une grande inspiration,et m’approchai du bureau pour noter les informations qu’il allait me donner,comme une aumône. Il laissa un petit temps,pour savourer le suspense.
Et maman, elle est quoi ? Une sorte d'animal marin, un phoque échoué à Bourg-la-Reine, grâce à quoi elle est devenue une "Réginaburgienne". Avant, il n'y a pas si longtemps, je croyais que réginaburgienne c'était une catégorie moyenâgeuse, entre reine et princesse. Cependant devenir Réginaburgienne n'a en rien sauvé maman. Ca n'a pas levé le sortilège qui l'a maintenue toutes ces années en dessous du niveau de la mer.
Le rythme de la langue quand elle vient caresser le souvenir, le vrai, celui qui vibre encore à peine effleuré, est une expérience vivante, violente et subtile à la fois, une expérience qui donnera à son tour lieu à un souvenir. Antoine ne s'en rendait pas compte : ses phrases se libéraient du carcan dans lequel il les enfermait depuis l'exil.
Il me fallait quelqu'un qui ne me comprenne pas, qui ne comprenne rien au monde dont je tentais tant bien que mal de m'arracher. J'avais besoin d'un Autre.