(...) Presque tous les personnages sont dingues, méchants, pervers, ils vivent dans des milieux sociaux très dégradés, n'ont pas beaucoup d'espoir à l'horizon, et les quelques-uns qui ont un peu de moralité sont comme des anges démunis dont on se demande comment ils vont survivre dans cet univers de fous. Et bien sûr, ils ne survivent pas, du moins pas tous.
Ça pourrait être lassant, trop déprimant, mais non, et c'est là la force de Pollock, on est aspiré par cette histoire, on a envie d'en savoir plus, de voir comment ça va tourner, car ces trajectoires se percutent et on se demande lequel sera plus mauvais ou moins bête que les autres. (...)
Le Diable, tout le temps mérite bien son titre, car ils sont tous perdus entre les griffes du Malin, que ce soit le pasteur pervers, le couple de tueurs en road trip, les prédicateurs allumés, le shérif corrompu et sa soeur pas (du tout) convenable. Même ceux qui s'en remettent à Dieu ne vont pas très bien non plus, à l'image de Willard Russell, rescapé de la guerre du Pacifique, qui fabrique un autel dans les bois et sacrifie des animaux (et pas que) pour sauver sa femme du cancer.
L'Amérique des années 1940-1960 décrite par Pollock va mal. L'alcool, le sexe, l'argent, les armes à feu, la religion sont autant de maux qui la minent, mais étrangement, c'est un univers fascinant, où tout est possible car l'écriture et la créativité de l'auteur sont marquées par une forte tendance à la disruption, et on aime être secoué, pris à contre-pied à chaque page, on en redemande. (...)
Avec ce premier roman écrit à cinquante-sept ans,
Donald Ray Pollock, qui était auparavant ouvrier puis chauffeur de camion dans une usine de pâte à papier, qui est passé par le creative writing à l'université de l'Ohio, fait un sacré carton.
François Muratet pour Double Marge
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