Citations sur Le mystère des pierres (41)
- La mort d'un être cher nous apprend à aimer. Vois-tu, cher Brisorgueil, je n'avais qu'un fils et je rêvais qu'il soit le maître du monde, qu'il perpétue notre lignée. Je l'aimais trop et mal, car seul le pouvoir et la richesse étaient chose digne d'intérêt à mes yeux. Lorsqu'il est parti, je me suis senti bafoué dans mon amour-propre : il remettait en cause ma façon de penser et j'étais furieux contre lui. Dans ma vanité, je restais persuadé qu'il me reviendrait un jour, miséreux et suppliant, car je n'imaginais pas être humain heureux sans fortune. Pourtant, les années ont passé, il n'a jamais quémandé ni mon aide matérielle ni mon appui et il s'est très bien accommodé de sa vie de dénuement.
Du haut de son cheval, l'apprenti verrier vit la colère des hommes s'apaiser au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient du corps sans vie de Gondelac. La bêtise, ce monstre qui entraîne les foules en ôtant aux hommes tout jugement, avait gagné !
- Renoncer ? Mon ami, souviens-toi que dans la vie rien n'est jamais perdu tant qu'on ne baisse pas les bras; tant que l'on continue à lutter, l'espoir reste vivant et l'issue est possible.
- Souviens-toi toujours de ceci : si les savants nous aident à comprendre le monde, nous, les tâcherons, les manœuvres, aidons à le bâtir. Sans nous, les savants n'auraient ni un toit où s'abriter, ni un endroit où aller prier, ni charrettes pour se déplacer. Sans nous, ils n'auraient ni chaudron pour faire leur soupe, ni couvertures pour se couvrir. Nous sommes les artisans du monde et le monde a besoin de nous aussi. Nous ne sommes pas des laborieux mais des artisans du bois, du fer, de la pierre, du verre. Nous sommes apprentis avant de devenir Compagnons et notre tâche est noble ; notre intelligence n'est peut-être pas celle de l'esprit, qui peut comprendre le monde, mais elle est dans nos mains car c'est nous qui le bâtissons en solide.
Gondelac ouvrit ses mains calleuses, paumes vers le ciel, puis saisit celles de son aide.
- Les savants ont leur richesse dans la tête, toi tu as la tienne dans tes mains et dans tes bras. Et le monde a besoin d'eux comme il a besoin de toi... Alors ne te dévalorise jamais, car tes dix doigts sont un trésor inestimable !
- C'est précisément parce que nous sommes tous différents les uns des autres que nous sommes uniques et précieux.
Le regard de l'apprenti glissa le long des murs si familiers et réalisa enfin pleinement ce que lui avait un jour assené son maître d'apprentissage : ces blocs de pierre chantaient des noms : Odilon, Bonvin, Gasparin, Cornillac, Bertrandon ; ce bois sculté perpétuait la gloire de Félix, le maître d’œuvre, et les compagnons du bois. Tout, oui, tout vibrait de la sueur des fronts, du prix de l'effort, du lien qui les avait unis, nuit et jour, pendant ces longs mois, comme une grande famille. Les fidèles qui viendraient prier en ce lieu, les siècles à venir, auraient-ils une pensée pour ces artisans bâtisseurs ? Ressentiraient-ils la magie qui se dégage de chaque recoin, de chaque patine du bois, de la pierre et du verre ? Sauraient-ils mesurer la force, l'union des efforts d'une poignée d'hommes pour dresser ce sanctuaire vers le ciel ? Pour la première fois, le cœur de Brisorgueil se sentit transpercé d'une fierté sans égale.
Ça s'appelle de l'ignorance ! Ces gens critiquent un homme qu'ils n'ont jamais vu, dont ils ne savent rien, le rejettent parce qu'il est différent d'eux... Ils ont peur de ce qu'ils ignorent. Donc ça s'appelle de l'ignorance. Mais toi ? Qu'en penses-tu ? Le fait qu'il soit musulman et qu'il possède en lui un grand savoir fait-il de Fadi un sorcier ? un alchimiste ?
Quelle torture pour le jeune apprenti ! Il finit par répondre :
- Je ne sais pas... Je ne sais d'ailleurs pas ce que signifie ce mot...
Gondelac ramassa son crayon.
- Ceux qui critiquent non plus, je crois... Et ils sont bien ce que je dis : des ignorants !
- Je suis sire de Lantrenoc, nouveau seigneur de ces terres, et visite mon domaine. Combien de serfs êtes-vous ?
Un instant d'hésitation, puis la voix de Blaise s'éleva, rocailleuse et mal assurée :
- Pardonnez-moi, sire, mais... Je suis un homme libre et ce champ m'appartient.
Le cheval piaffa, couvrant le "Quoi?" du nouveau maître.
- Mon père a été affranchi par messire Boiteron... commença le paysan.
L'homme, qui contenait son cheval avec peine, interrompit Blaise :
- Et pour quel valeureux exploit, dis-moi ?
Pris de panique, Tristan agrippa aux braies de son père, qui poursuivit son explication avec calme :
- Ma mère, qui possédait quelque don particulier envoyé par la grâce de Notre Seigneur, connaissait les vertus des simples*. Un jour, sire Boiteron se trouva cloué au lit par des blessures ne lui donnant aucun espoir de survie ; ma mère, appelée en dernier recours, réussit là où tout autre médecin avait échoué et sire Boiteron guérit. En guise de remerciement, mon père fut libéré de son servage et reçut ces quelques arpents de terre que nous cultivons depuis.
* C'est ainsi que l'on nommait les plantes au Moyen Age.
- Ce qui compte, dans les épreuves que l'on traverse, c'est la leçon que l'on en tire.
"Quoi que tu décides de faire, quoi que tu fasses, il y aura toujours des mécontents et tu subiras leurs critiques ! Alors, ne laisse pas les autres décider de ta vie ; reste à l'écoute de tes désirs et de tes propres rêves, et fais comme tu le sens, sinon tu laisseras ta vie te filer entre les doigts pour ou à cause des autres et de ce qu'ils penseront de toi..."