Toutes les femmes sauf une

Elle ne m'a pas parlé d'indépendance, elle ne m'a pas parlé de l'avenir. Elle ne m'a pas dit que cela irait. Elle ne pouvait pas, privée de tant, presque tout.
Elle ne parle que du manque, de la perte, du coût, du prix à payer.
Adèle, regarde où tu mets les pieds et casse la danse.

Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? A 16 ans, je vieillis à toute allure, le regard braqué sur un passé immobile où, depuis des lustres, la petite fille mal fagotée attend sur la place? C’est vide. Mais faire face, c’est pire.
Alors, j’ai peur de tout, je ne veux rien. Peur d’essayer, de parler, de me lier, comme elles disent. Pour ne pas échouer, je m’enferme. Pour ne pas choisir, je renonce avant même de savoir à quoi….Je suis planquée



Moi, je suis brutale. Je manque d’amour

Si moi, je ne dis pas le » e » qui féminise mots, elle tu verras si tu la croises, ne dit jamais le « je » qui assume.
On m’a gâché la vie
On m’a empêchée de faire des études
On m’a bouclée dans cette baraque
On m’a jugée
On m’a étouffée
On m’a offert une cochonnerie pour la fête des mères
On le fait exprès
Et moi tu crois qu’on m’a félicitée ?

Encore une qui trime un tiers de siècle pour pas un rond, un bijou de temps à autre, le respect de ses fils, une baraque, des vacances. Aujourd’hui, elle est malade. Elle oublie tout.

A mesure que je parcours émacié de votre langue, l’étendue de votre souffrance ne m’apparait plus tant elle est vaste. J’ai honte. Je voudrais vous épargner de ces livres de petite conne bien lettrée, bien nourrie. Je ne peux plus.

Mon âge égale le temps passé à taper sur l'armure, de l'intérieur.
J'écris et personne ne peut m'embrasser.

Là d'où je viens, Adèle, les femmes n'avancent pas. J'ai peur que tu ne passes pas par le trou, à cause de moi.

9 heures. On déclenche la dame d'hier soir, on na pas que ça a faire. Première tentative, j'attends comme je sais faire, comme une conne, toute la joumée. Je me fais couler un bain, j'en suis, je souffre. Des heures. Au départ quelqu'un passe et mesure le col.
Vous ne faites pas le travail.
La vie ne change jamais de disque.

La langue se déchire toujours. Il faut attendre, c'est tout. Elle ne peut pas être ma mère parce qu'elle n'a pas fini d'être une fille.

Il ne m'a pas dit que je serais la somme de mes choix. Que des choix, mes hommes devraient en être. M'a laissée penser qu'au mieux je serais choisie.

Après c'est encore les nuits blanches, démontées, la faiblesse immense à vouloir s'allonger par terre et d'un coup, la force immense, tirée d'on ne sait où, qui fait tenir debout, raide, et retomber. Et plus personne pour venir me bercer car "ce n'est plus ton tour". Et si hier encore, je l'attendais. Il est passé.

L'insomnie, la dépression. J'appelle ma mère comme on se fait dessus. Je dis "aide-moi", ça arrive quand on coule, on appelle maman, on dit aide-moi, ça se fait, Adèle.
Moi : Ça va très mal.
Elle : "Comment oses-tu me dire ça à moi ?"
La femme au téléphone hurle que c'est elle qui souffre, elle. Mon père est parti, elle n'a jamais travaillé, ses enfants la négligent, est-ce que je peux en dire autant ?
"Toi, tu crois pas que tu peux te débrouiller ?"
Je raccroche et je coule tout à fait.

Les hommes à mes pieds j'en trouve parfois. Je me dis qu'ils se sont perdus, qu'ayant pris pour le phare un poteau électrique, ils sont là. J'en profite un moment, j'attends qu'ils ouvrent les yeux et qu'ils s'en aillent. Je dois, ma foi, me haïr.