Livre reçu grâce à Babelio.
En apparence, c'est un pavé dont la lecture semblerait bien indigeste. Plus de 800 pages traitant d'un sujet particulièrement lourd : la guerre d'Espagne et, surtout, un examen des violences que la guerre a permises, non seulement dans le temps de la guerre mais dans celui de la paix retrouvée, et très chèrement acquise, au prix de trois années de guerres sanglantes et fratricides.
La guerre d'Espagne est sans conteste un événement majeur du 20ème siècle. Elle est un prélude à la Seconde guerre mondiale où viennent parfaire leurs gammes les stratèges nazis et soviétiques et elle est une guerre idéologique où s'affrontent deux visions du monde : d'un côté les Républicains que viennent épauler les communistes de l'Europe entière ; de l'autre les nationalistes qui, sous la houlette de Franco, revenu du Rif marocain, prendront finalement le dessus dans le conflit. Mais la guerre d'Espagne a aussi laissé des traces dans les mémoires espagnoles. Par sa violence, par les exactions qui y sont commises, par les tortures et les haines auxquelles on laisse libre cours durant la guerre, et encore après, pour punir ceux que leurs idées excluaient d'une Espagne nationaliste, catholique et autoritaire. La guerre a laissé ses traces dans les vides : les vides laissés par les morts, les vides laissés par ceux qui ont fui. La France a notamment accueilli - même si ce mot est un peu fort, puisque nombre des rescapés de cette guerre ont été parqués, ainsi qu'on le fera quelques années plus tard et à d'autres visées - dans des camps de fortune, dont celui de Rivesaltes.
La guerre d'Espagne est aussi une lutte des classes. C'est pour contrer les idées progressistes de la deuxième République espagnole, soucieuse de moderniser un pays qui a depuis longtemps perdu son leadership sur l'Europe, que Franco et ses troupes font le coup de force. L'Espagne est encore, dans les années 1930, une terre où les grands propriétaires terriens concentrent l'essentiel des biens fonciers, avec la bénédiction de l'Eglise (laquelle aura à souffrir particulièrement dans les territoires républicains). On voit aussi que cette guerre oppose deux Espagnes géographiques : l'une du sud et du sud-est, acquise aux nationalistes (il n'y a qu'à voir le peu de cas que l'on fait alors de la mort de
Federico Garcia Lorca, dont le meurtrier se vente sitôt son forfait commis), l'autre au nord et au nord-ouest (notamment en Catalogne et en Galice), volontiers républicains, largement pénétrés depuis le 19ème siècle par les idées libérales.
Le mot "extermination" qui figure dans le titre n'est pas innocent. le titre original du livre, lui, fait référence à l'holocauste. Autrement dit, Preston place sur un plan d'égalité, dans ce qui devient une rationalisation de la mise à mort, la guerre d'Espagne et la Shoah. Evidemment, on objectera que, dans un cas, il y a deux camps armés qui s'affrontent alors que, dans l'autre, le groupe exterminé est sans défense. On dira aussi que la violence est inhérente à l'état de guerre. Certes. Mais un tel degré de virulence dans les actions, de haine dégagée, de souci d'éradication a rarement été atteint dans
L Histoire. Car, ce qu'a permis la guerre, c'est le déchaînement d'une violence enfin légitimée : contre les bourgeois, les propriétaires terriens et les clercs dans l'Espagne républicaine, contre les communistes et les marginaux (dont les minorités sexuelles, comme le montre l'exemple de
Garcia Lorca) dans l'Espagne nationaliste.
La mort, nous confirme Preston, peut se donner de plusieurs manières. Il y a les bombardements de positions ennemies ou de villes entières (on se souvient de Guernica), il y a la mort que l'on donne au combat à un ennemi, il y a celle que l'on donne à ceux qui ne peuvent pas ou plus se défendre : prisonniers de guerre ("esclaves de guerre", dira le gendre et ministre de Mussolini,
Galeazzo Ciano, à l'occasion d'une visite en Espagne) et civils, dans lesquels on trouve beaucoup d'enseignants, de fonctionnaires et d'artistes. La mort est simple à donner : d'une balle dans la tête dans un cimetière ou bien dans une voiture. Mais elle peut être aussi longue à venir, particulièrement sous la torture. La mort n'est pas, évidemment, la seule violence. Torture physique, viol aussi, utilisé contre les femmes : l'horreur possède un champ d'application presque illimité.
Si les centaines de milliers de morts sont une statistique,
Paul Preston s'attache à redonner une dignité, une humanité finalement, aux morts de cette guerre. L'horreur grandit, au fil des pages, sans cesse nourrie, et galvanisée par l'idée qu'encore aujourd'hui, en de nombreuses contrées du monde, elle s'épanouit encore. Loin d'être une somme abrutissante, le livre de
Paul Preston est, au contraire, un formidable outil de pédagogie et de précision historique. de nombreuses cartes et photographies illustrent et, par là-même, aident à comprendre ce que fut la guerre : au plus près du terrain et au plus près des hommes.