L'amour est une passion innocente, comment s'est-elle changée pour moi en une source de misère et de désordre ?
Je l'aime avec une passion si violente qu'elle me rend le plus infortuné de tous les hommes.
L’expérience n’est point un avantage qu’il soit libre à tout le monde de se donner.
Mais, Manon, je vous le dis, j'ai le coeur percé de la douleur de votre trahison.
J'étais né pour les courtes joies et les longues douleurs.
Son conseil était sage mais il aurait fallu l'être aussi pour le suivre.
"Ô Dieu ! m'écrai-je, je ne vous demande plus rien. Je suis assuré du cœur de Manon, il est tel que je l'ai souhaité pour être heureux : je ne puis plus cesser de l'être à présent." (Page : 187, seconde partie).
Il (le père) me demanda d'abord si j'avais toujours eu la simplicité de croire, que je fusse aimé de ma maîtresse. Je lui dis hardiment que j'en étais si sûr, que rien ne pouvait m'en donner la moindre défiance. Ha, ha, ha, s'écria-t-il en riant de toute sa force, cela est excellent ! Tu es une jolie dupe, et j'aime à te voir dans ces sentiments-là. [...] Il ajouta mille railleries de cette force, sur ce qu'il appelait ma sottise et ma crédulité. Enfin, comme je demeurais dans le silence, il continua de me dire que suivant le calcul qu'il pouvait faire du temps, depuis mon départ d'Amiens, Manon m'avait aimé environ douze jours [...] Félicite-toi maintenant de la durée de ton triomphe (dit le père). Tu sais vaincre assez rapidement, Chevalier ; mais tu ne sais pas conserver tes conquêtes !
Un cœur de père est le chef-d'œuvre de la nature ; elle y règne, pour ainsi parler, avec complaisance, et elle en règle elle-même tous les ressorts. Le mien, qui était avec cela homme d'esprit et de goût, fut si touché du tour que j'avais donné à mes excuses, qu'il ne fut pas le maître de me cacher ce changement. Viens, mon pauvre Chevalier, me dit-il, viens m'embrasser ; tu me fais pitié. Je l'embrassai. Il me serra d'une manière qui me fit juger de ce qui se passait dans son cœur.
Chère Manon! lui dis-je, avec un mélange profane d'expressions amoureuses et théologiques, tu es trop adorable pour une créature. Je me sens le cœur emporté par une délectation victorieuse. Tout ce qu'on dit de la liberté, à Saint-Sulpice, est une chimère. Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien ; je lis ma destinée dans tes beaux yeux ; mais de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton amour! Les faveurs de la fortune ne me touchent point ; la gloire me paraît une fumée ; tous mes projets de vie ecclésiastique étaient de folles imaginations ; enfin tous les biens différents de ceux que j'espère avec toi sont des biens méprisables, puisqu'ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur, contre un seul de tes regards.