Longtemps, je me suis posé la question.
Depuis toujours, citations et références sur
Marcel Proust fusent dans tous les médias, émissions télé et radio, débats politiques et autres émissions plus ou moins culturels. Aujourd'hui et demain, ce rituel poursuit et poursuivra son chemin. Cela a aiguisé ma grande curiosité. Pourquoi l'évoque-t-on autant ? J'ai pensé : il doit être miraculeusement indémodable, monstrueusement moderne pour qu'il continue à occuper un tel espace. J'ai pensé : « mais m…. ! Il faut que je le lise au moins pour être dans le coup et comprendre ce qu'on évoque dès qu'on le remet sur le tapis». C'est ce que j'ai fait.
Je me dis qu'il doit être blasphématoire d'oser critiquer
Proust mais je me risque à le faire. Je me suis offert l'intégral de la « Recherche » dans une ancienne Pléiade d'occasion bradée sur internet, et j'ai consacré l'année 2016 presque entièrement à le lire. Un an c'est long mais c'est indispensable pour comprendre ce style bien singulier dont la marque de fabrique se distingue par les longues phrases interminables, les digressions fréquentes, les descriptions, les ressentis et les explorations dans les sous-couches des lieux et des êtres.
J'ai eu en classe de première une professeure de français qui était un impressionnant puits de culture, et qui nous disait : «
Proust, c'est de la belle littérature facile. A mon humble niveau, je trouve que c'est de la riche littérature très difficile, digne d'un très haut niveau universitaire dans les cursus de langue française à l'étranger.
Je suis déçu que beaucoup de lecteurs aient laissé tomber au bout de 10 pages, même si je peux comprendre la contrariété qu'ils aient sans doute éprouvée en trébuchant sur les nombreuses parenthèses particulièrement agaçantes dans la première partie. L'héroïque obstination de mon mental de sportif assidu m'a aidé à lire ces 3000 pages. Je mentirais en disant que je les ai dévorées car cette oeuvre demande des efforts considérables, beaucoup de concentrations et un travail de décryptage pointu. Je dirais aujourd'hui, avec 2 ans de recul, que chacun de nous doit y puiser ce dont il a besoin sans être contraint à tout y admirer. Dans cette optique, j'ai relevé et recopié certains passages que j'ai trouvés admirables, où l'auteur a d'abord une lecture visuelle des choses avec son propre regard et son propre cerveau, qu'il nous livre retranscrite sur le papier. En voici quelques uns :
Les Petites Madeleines (I )
Les aquarelles d'Elstir inspirées de la « vie profonde des natures mortes » (I)
Les traits physiques des Jeunes Filles en Fleur commémoratifs de leurs ancêtres défunts. (I)
La tentative de suicide de la grand-mère (II)
Mort de la grand-mère (II)
Le mystérieux processus de la mémoires des Noms (II)
La fosse d'aisance ou l'allusion scatologique (II)
Description du Palace de Balbec à la manière d'un théâtre composé d'acteurs (II)
Le Pauvre ennuyeux Saniette (II)
La lumière du jour qui révèle la clarté de la souffrance et de la jalousie (II)
La vertu de l'intelligence, opposée au raisonnement, pour construire les expériences de la vie (III)
Les très anciennes strates de la vie qui remontent un jour à la surface (III)
La Madeleine est à Combray, ce que les dalles de St Marc sont à Venise : la joie du souvenir. (III)
« L'instinct dicte le devoir et l'intelligence fournit les prétextes pour l'éluder » (III)
La nuance entre le travail de l'écrivain et celui du savant (III)
Je ne pense pas relire l'oeuvre à nouveau, car je dois consacrer du temps à d'autres auteurs, mais je piocherai de temps en temps parmi ces derniers passages relevés, et en trouverai d'autres qui me seront suggérées ici et là.
Proust est un type qui devait aimer s'amuser dans son écriture, truffée de pièges tendus insidieusement aux lecteurs, pour qu'ils perdent le fil du propos au ¾ de la phrase. Bien sûr, lors de certaines descriptions très longues et très creusées, un peu trop à mon goût, je disais à l'auteur : « Bon ça va j'ai compris, ce n'est pas la peine de m'en rédiger des tartines ! », mais je poursuivais jusqu'au bout de son idée car je ne suis pas quelqu'un qui s'arrête en chemin. Une fois la difficulté surmontée, c'est un excellent entrainement pour stimuler la mémoire du cerveau.
A mon goût, il y a beaucoup trop de récits sur les 2 salons rivaux des Guermantes et des Verdurin, leurs frasques, leurs cooptations, leurs rencontres, leurs extravagances, leurs excentricités, leurs rivalités, leurs conflits, leurs hypocrisies, leurs mercato, leurs mépris de classe, leurs débats dreyfusiens... Si quelqu'un voudras bien m'expliquer l'intérêt de s'étendre si longuement sur ces aspects, et me conseiller des passages à lire attentivement, c'est avec plaisir que je ferais l'effort de m'y pencher.
Ce qui est certain, c'est que quand on a lu
Proust, on peut ensuite tout lire, et j'invite tout le monde à s'affronter avec ce grand roman.
Bonne lecture !