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Critique de Isacom


J'ai lu les deux premiers tomes de "À la recherche du temps perdu" un été, alors que j'étais lycéenne. J'étais fière de lire Proust, ça me paraissait une sorte de rite de passage à l'âge adulte. du premier tome j'avais gardé le souvenir, certes pas d'un suspense haletant, mais plutôt d'une lecture qui prend son temps - parfaite pour l'été dans un transat à l'ombre.
Le deuxième tome j'avoue l'avoir lu en diagonale, c'était un peu trop pour moi à l'époque.
La lecture commune proposée par 4bis me paraissait donc une excellente occasion d'y revenir ; voire de poursuivre avec les tomes suivants ?
Bah non, tiens, finalement.
Alors d'emblée, j'aime beaucoup mieux quand Proust parle des choses que des gens : la description de l'église de Balbec couverte de lierre, la réminiscence évoquée par un bouquet d'arbres au cours d'une promenade, c'est magistral. Dans l'ascenseur en fin de journée, "à chaque étage une lueur d'or reflétée sur le tapis annonçait le coucher du soleil et la fenêtre des cabinets." Splendide, non ?
Mais quand il parle des gens…
Tout ce qui suit n'est que mon ressenti d'humble lectrice de 2023, je le précise à l'avance pour ne pas être enquiquinée par les vrais amateurs de littérature pour lesquels "faut replacer dans le contexte."
Quand il parle de lui, d'abord : c'est quoi ce type qui va au bordel et picole tant que tant, mais exprime les sentiments d'un enfant (il s'endort "dans les larmes" si Grand-Mère n'est pas venue lui faire son bisou du soir), voire d'un pré-ado de 12 ans quand il joue d'une fille contre une autre ?
Pourtant il écrit drôlement bien, Marcel ; aucun frotteur du métro, sûrement, ne s'exprime aussi joliment : "Je tâchais de l'attirer, elle résistait (…) je la tenais serrée entre mes jambes comme un arbuste après lequel j'aurais voulu grimper (…) et, au milieu de la gymnastique que je faisais (…) je répandis, comme quelques gouttes de sueur arrachées par l'effort, mon plaisir auquel je ne pus pas même m'attarder le temps d'en connaître le goût."
Aucun ministre de l'Intérieur ne saurait décrire aussi finement les femmes : "Même dans le bas peuple (…) la femme, plus sensible, plus fine, plus oisive, a la curiosité de certaines délicatesses."
Aucun Bernard Arnault ou autre ultrariche, sûrement, ne dépeint aussi élégamment sa domesticité : "le regard intelligent et bon d'un chien à qui on sait pourtant que sont étrangères toutes les conceptions des hommes".
(Bon, probablement aussi qu'aucun fêtard s'envolant pour Dubaï n'a un médecin qui lui aurait "conseillé de prendre au moment du départ un peu trop de bière ou de cognac, afin d'être dans cet état qu'il appelait "euphorie", où le système nerveux est momentanément moins vulnérable".)
Concluons : à mes yeux c'est plutôt un long essai sur la perception et la mémoire, destiné à des pairs érudits, mais mis en forme de roman - sinon personne ne l'aurait lu ?
Et puis surtout, la haute société qu'il décrit ne me donne qu'une envie : défiler le poing levé en brandissant un drapeau rouge. (Ce livre pourrait être un magnifique outil de la révolution prolétarienne, voyez Lady L. de Romain Gary.) Écrivant à la même époque, John Galsworthy ou Thomas Mann étaient autrement plus critiques, plus percutants, et avec plus de finesse à mon goût.
Une dernière citation ? Un éclair de lucidité : "Une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre [de la salle à manger de l'hôtel] protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger." (Pour les personnes qui aiment bien replacer dans le contexte, "Mangeons les riches" date du 18ème et c'est de Jean-Jacques Rousseau.)
Merci aux collègues de la lecture commune, 4bis, AnnaCan, Berni_29, Cathe, Djdri25, gromit33, H-mb, HundredDreams, MisssLaure, mylena et Patlancien (ainsi qu'à NicolaK pour les biscuits… !)
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