Grâce à une liste noire qui avait circulé au sein des équipes de police, Chen était bien renseigné sur Yao. Mais ça n’était pas ses affaires, pensa-t-il en replaçant ses verres ambrés sur l’arête de son nez et en rabaissant légèrement son béret français. Il aurait bien aimé ressembler à autre chose qu’à un flic. Dans ce contexte précis, il n’était pas bon pour lui d’être facilement identifiable, même si plusieurs membres de l’association le connaissaient bien.
Chen tapota la poche de son pantalon à la recherche d’un paquet de cigarettes, puis se ravisa. C’était une de ces conférences controversées, mais tolérées. L’orateur Yao Ji, un chercheur en droit à l’Institut des sciences sociales de Shanghai, avait une certaine renommée. Partisan du régime, il était malgré tout perçu comme un dissident potentiel à cause de ses articles critiques dans les journaux et de ses commentaires virulents sur des blogs.
« Les machines de propagande du Parti ont beau tourner à plein régime, la société chinoise est aujourd’hui moralement, idéologiquement et éthiquement en panne, mais elle continue pourtant d’avancer, encore et toujours, comme le lapin dans les publicités pour les piles. »
L’inspecteur principal de la police criminelle Chen Cao assistait à une conférence à l’Union des écrivains de Shanghai. Les sourcils froncés, il opinait du chef comme pour battre la mesure du discours de l’orateur.
« L’énigme chinoise. Qu’est-ce que c’est ? Eh bien, prenons par exemple cette formule politique en vogue : le socialisme à la chinoise. Voilà un terme générique qui englobe tout ce qu’il y a d’énigmatique dans notre beau pays : socialiste ou communiste dans les journaux du Parti, mais capitaliste dans la pratique, un capitalisme de copinage, primaire, matérialiste au dernier degré. Et féodal aussi si l’on en juge d’après les enfants des hauts dignitaires, petits princes héritiers destinés à devenir dirigeants à leur tour, en légitimes successeurs du régime à parti unique.
Dehors, un miroitement de lumieres s`alluma le long des rives. De l`autre coté de la riviere, les néons changeants des gratte-ciel serrés projetaient les mirages envoutants du siecle nouveau sur les eaux chatoyantes.
- La chasse à l'homme est-elle une solution idéale ? Certainement pas. mais nous ne sommes pas dans une société idéale. Dans une société comme la nôtre, quel autre recours ont les gens ? Sans pouvoir législatif autonome, malgré ce que les autorités veulent nous faire croire...
Vous avez dirigé plusieurs enquêtes impliquant des cadres de haut rang mêlés à des affaires de corruption. Le peuple vous croira.
Avec un supérieur, Li prend parfois un ton obséquieux. Je crois bien que c'est pour ça que vous n'êtes encore que vice-secrétaire. P. 97
Chen connaissait le sentiment antigouvernemental des cyber-citoyens et il comprenait leur réaction. Mais un policier ne pouvait se permettre d'adopter un point de vue aussi catégorique en plein milieu d'une enquête.
un bon polar, intéressant parce que le lecteur occidental non familier de la Chine est dépaysé