En toute logique, je n'aurais jamais dû lire «
Place aux immortels » n'étant attirée ni par les romans ayant comme toile de fond une des deux guerres mondiales ni par ceux mettant en scène des militaires, fussent-ils des gendarmes. Or ce roman cumulait, en apparence, ces deux inconvénients.
Mais c'était sans compter sans Babelio et les éditions Plon, que je remercie, qui me l'ont proposé lors d'une Masse Critique privilégiée ; j'ai toujours eu la chance, à travers cette opération, de découvrir des auteurs qui m'étaient inconnus et de nouveaux horizons, quelquefois très éloignés de ma zone de confort littéraire. J'ai donc accepté sans hésitation et j'ai bien fait.
Ce roman fut une très bonne surprise par sa singularité ; il met en scène la prévôté, c'est-à-dire les gendarmes qui accompagnaient les troupes à la guerre, pour assurer des missions de police militaire (interception des fuyards, lutte contre l'alcoolisme des soldats et le pillage, transfert des prisonniers de guerre, contrôle de la circulation dans la zone des armées). La prévôté existe d'ailleurs toujours aux côtés des militaires français engagés en opérations extérieures. Nous partageons le quotidien des gendarmes, et en particulier de leur chef, le lieutenant Cognard (nom prédestiné, la cogne étant un des surnoms peu amènes dont est affublée la gendarmerie), officier complètement atypique, de janvier 2015 dans la Somme à août 2015 dans la Marne puis de retour à l'arrière, en Bretagne.
Le lieutenant Cognard décide, contre les ordres de sa hiérarchie, d'enquêter sur la mort suspecte de deux militaires de la même unité ; sa recherche de la vérité lui vaudra de s'opposer à l'armée à un moment où tous les moyens sont bons pour arracher la victoire.
Ce roman est très minutieusement documenté ce qui parfois, amène l'auteur à alourdir le récit par des détails nombreux qui ne sont pas indispensables, sauf peut-être pour un historien ; ce n'est qu'à partir de la page 96 que l'on commence à glisser vers un polar et à partir de la page 174, que l'enquête démarre véritablement. Je pense qu'elle n'est, en fait, qu'un prétexte pour nous faire vivre le quotidien des gendarmes pendant la première guerre mondiale et pour leur rendre un hommage appuyé. L'auteur s'attache à montrer que ces hommes, qui étaient méprisés par les soldats car ne se battant pas au front, ont joué un rôle inestimable, dans l'ombre, en appui aux troupes qui combattaient.
On sent la sympathie et une certaine tendresse derrière tous les personnages haut en couleur de gendarmes, qu'ils soient sous-officier ne jurant que par le règlement ou gendarme au niveau intellectuel au ras des pâquerettes ou porté sur la bouteille ou se moquant de son chef. Les militaires, eux, ne bénéficient pas de la même empathie ; ce roman est d'ailleurs un réquisitoire contre une hiérarchie militaire tatillonne, loin des réalités, contre des officiers supérieurs se croyant tout permis.
Les femmes, on s'en doute, vu le contexte historique, brillent par leur absence ou sont cantonnées dans le rôle de veuve ou d'épouse infidèle.
J'ai beaucoup appris sur la gendarmerie en temps de guerre et ai découvert un sujet peu abordé dans les livres d'histoire et encore moins dans la littérature : les meurtres de soldats français par d'autres soldats français sur le front. le roman ne se contente pas d'être manichéen mais soulève une question essentielle : tout est-il permis en temps de guerre pour remplir la mission et éventuellement sauver des camarades?
J'ai beaucoup aimé le style truculent de l'auteur, que ce soit celui très imagé et très inventif des gendarmes et des soldats ou celui des gens du cru et j'ai d'ailleurs souvent souri ; l'ironie, l'humour pince-sans-rire sont omniprésents faisant de cette lecture un vrai plaisir.