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Citations sur Les derniers maillons (6)

Enfin, nous finirons bien par mourir comme tout le reste, nous sommes nés pour cela.
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C'est la première chose qu'on devrait apprendre aux enfants, avant le premier mot, avant le premier mot, avant tout. L'innocence et l'ingénuité sont mortelles.
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Une machine me tient suspendu par les poignets tout en m’aspergeant avec un jet d’eau d’une telle pression que j’ai l’impression que des centaines d’aiguilles se plantent dans ma peau, déchirant chaque pore. Je hurle comme un chat qu’on écorche pendant que le jet s’attarde sur le moindre centimètre carré de mon corps, m’écrasant les testicules, arrachant la boue et les croûtes de sang.
Cela cesse enfin.
Le robot carcéral m’emmène ensuite, toujours suspendu, dans un couloir de la prison. Je dégouline comme un christ après le martyre. Malgré tout, je continue à serrer le poing, ils ne m’ont pas encore pris le NEURON.
C’est absurde. C’est la première chose qu’ils auraient dû faire, c’est incompréhensible.
Nous entrons dans un tunnel de séchage, une rafale d’air chaud m’enveloppe, l’odeur du désinfectant me submerge et il devient difficile de respirer. Sous mes pieds, une trappe grillagée s’ouvre sur un puits dont on ne voit pas le fond. Avant que je puisse réagir, le robot carcéral me lâche les poignets. Je tombe. Je contracte tous mes muscles, me préparant à l’impact, mais j’atterris sur un sol capitonné. La grille se referme au-dessus de moi. Je me recroqueville dans un coin de cette cellule matelassée pour me protéger, pour protéger le NEURON autour duquel je me roule en boule, je ne sais pas encore ce qui m’attend. Ma respiration est agitée. Au bout de quelques secondes, je redresse la tête. Il n’y a personne ici, sauf moi, le NEURON et ma nudité. Un peu de lumière filtre au travers de la grille. Je peux voir les motifs de petits carrés qu’elle dessine autour de moi.
Je suis dans un cube parfait, comme celui que je tiens dans la main. Les parois sont capitonnées et griffées par tous les prisonniers qui m’ont précédé ici, après être tombés par le même trou dans le plafond.
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Quand un État utilise tous les moyens dont il dispose pour écraser un mouvement autonome, la vie devient une monnaie d'échange dépréciée qui finit par ne plus rien valoir du tout.
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« Rien, rien, rien… » répète Mila.
Mais cette fois, j’entends aussi des halètements, comme si elle s’était mise à courir, puis un sifflement épouvantable qui me perce les tympans. J’arrache violemment mon oreillette. Je lève les yeux : deux caméras surveillent l’allée, elles ont dû détecter mon geste, ils m’ont envoyé ce bruit insoutenable pour me repérer. J’essaye de me persuader que Mila s’est déjà réfugiée quelque part, et que c’est donc certainement moi, le gibier principal. C’est sur moi que va se jeter la meute. Je serre instinctivement le cube métallique dans ma main. Je ne sais pas comment je vais pouvoir me sortir de là, le sang cogne contre mes tempes, je sens des crampes dans tous mes muscles. Je ne peux pas supporter l’idée qu’ils m’attrapent, j’ai vu tant de corps de camarades, les doigts triturés, les dents arrachées, la peau brûlée par l’électricité.
J’entends la sirène d’un des bateaux qui arrivent au port, à présent j’en suis à deux blocs de distance. Je joue ma dernière carte. Je me mets à courir. Je cours tant que je peux, le cube dans la main. Je cours tout en jetant du lest, je me débarrasse de tout ce qui est traçable, ma montre, le mini-récepteur, l’imperméable climatisé. C’est à peine si je vois les gosses des rues se précipiter sur les petits trésors que je sème derrière moi. J’entends dans mon dos les sirènes des voitures blindées qui se rapprochent, mais je me retourne pas, je continue jusqu’au débarcadère et je replonge dans la cohue des passagers empressés, qui descendent des ferries en se bousculant pour ne pas arriver en retard au boulot. Je me fraie un passage avec brusquerie, ils m’ouvrent une voie. Plusieurs agents de la police portuaire font leur apparition, essayant de m’arrêter en me frappant, mais j’esquive leurs coups, je pousse une vieille dame qui est restée paralysée sur mon chemin, les insultes pleuvent, la femme hurle. Un vigile sur un ferry utilise sa radio, je crois entendre deux coups de feu. Mais j’ai déjà sauté du quai, je reste un instant suspendu dans les airs, puis je plonge dans l’eau sale. Je coule, sans lâcher le cube, le peuple libre se noie avec moi, je ne peux pas le lâcher.
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« Il n’y a pas de copie », c’est tout ce que peut me dire Enzo quand il me glisse le paquet de chiffons sales dans lequel il a enveloppé le NEURON. Il n’a même pas osé le toucher, ses mains tremblent, il sue et peut à peine parler.
Je jette immédiatement les chiffons pendant qu’Enzo disparaît au milieu de la foule qui s’agglutine sur le quai du métro en cette heure de pointe. Ensuite, je fais d’innombrables détours, j’emprunte plusieurs ascenseurs à la suite, je change de niveau, je me débarrasse d’une partie de mes vêtements et je mets un bonnet. Je parcours plusieurs blocs, privilégiant les endroits où les caméras ont été vandalisées et sont hors service, jusqu’à arriver au débarcadère et me mêler à la multitude qui descend des ferries.
Puis je remonte l’allée Cienfuegos en tenant le NEURON dans mon poing d’une façon naturelle, sans qu’on puisse deviner sa présence. C’est un cube d’aspect métallique, opaque. Il doit mesurer quatre centimètres de côté. Il pèse trois cents grammes. Ses arêtes sont légèrement arrondies, comme si elles étaient usées à force de passer de main en main. Il ne présente aucune marque, ni rayure, ni inscription. Ses six côtés sont parfaitement lisses, sans rainure ni orifice. Il est de couleur indéfinissable, comme de la terre morte. Il est froid et ne se réchauffe pas au contact de la peau. Il se maintient en permanence à 18,8 degrés Celsius, quel que soit l’environnement dans lequel il se trouve. Il ne vibre pas et ne peut pas être détecté par les portails magnétiques à l’entrée des souterrains.
L’avenir de la Société du peuple libre repose dans la paume de ma main.
Je me fonds dans la foule et marche tranquillement, comme si je ne sentais pas sur mes épaules la responsabilité d’avoir en ma possession la dernière copie du NEURON. C’est une habitude que l’on acquiert dans la clandestinité : mentir en permanence. C’est un instinct, un camouflage naturel, être comme tout le monde, ne pas de faire remarquer, ne pas avoir peur, ne pas regarder les gens dans les yeux. S’arrêter de temps en temps devant une vitrine, reprendre son chemin comme une personne distraite, perdue dans ses pensées et ses préoccupations, inquiète de ne pas réussir à joindre les deux bouts.
Je suis clean, indétectable. Le NEURON est en sécurité pour le moment. Il ne reste qu’un dernier rendez-vous. Plus qu’un échange et le réseau pourra être restauré. Une fois le NEURON en ligne, les relais se multiplieront pour dupliquer les informations, nous aurons résisté une fois de plus aux attaques et la Société du peuple libre sera de nouveau sauvée.
L’allée Cienfuegos est éclairée de mille feux, les fêtes vont bientôt commencer, je ne sais pas qui peut avoir envie de fêter quoi que ce soit, mais c’est la dynamique commerciale qui veut ça, on passe d’une chose à l’autre, de la Saint-Valentin à la fête des Mères, du jour des animaux domestiques au jour de l’enfance, de la célébration de l’Armistice à Halloween, etc. Ça ne s’arrête pas, on cherche toujours un moyen de forcer les gens à acheter ce dont ils n’ont pas besoin, parce que s’ils n’achetaient que le strict nécessaire, la moitié des magasins ferait faillite.
« Victor… » dit la voix de Mila dans mon oreillette.
Je m’arrête. C’est curieux que ce soit elle, le dernier contact. Nous avons fait nos armes ensemble dans le NEURONisme et, après beaucoup de sacrifices, nous avons grimpé dans la hiérarchie. Nous avons finalement intégré le premier cercle du mouvement sans rien devoir à personne, et aujourd’hui, nous sommes les deux derniers maillons dont dépend toute la chaîne.
« Victor… »
Cela fait des années que je ne l’ai pas entendue prononcer mon nom, et, bien que je sois à moins de cent mètres de notre point de rencontre, je m’immobilise. Quelque chose dans la voix de Mila me prévient d’un danger.
« Rien. »
Rien est notre signal d’alerte, si quelque chose ne va pas. Je me tourne face à une vitrine. J’attends.
« Rien, rien, rien… » répète Mila.
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