- Je croyais que c’était une tradition chez les empereurs d’avoir des petits bâtards.
- Si par « tradition » vous entendez « pratique courante », alors oui. Mais ça complique sacrément la succession. Saviez-vous que mon arrière-grand-père était un bâtard ?
- Non.
- Il a assassiné son demi-frère, l’héritier légitime, et a revendiqué le trône. Je devrais sans doute lui en être reconnaissant : c’est grâce à lui si je suis empereur. Cependant, avoir trop d’héritiers potentiels est dangereux. Les gens se mettent à subir toutes sortes d’accidents mortels.
Elle leva les yeux vers une table à l’autre bout de la pièce, où un homme était assis devant un jeu de caturanga. L’empereur Lucien.
Elle avait passé tant d’années à l’étudier et à comploter contre lui qu’elle ressentit en sa présence une sorte d’intimité perverse et malvenue.
Les gens se comportaient d’une certaine manière dans une situation donnée, et agissaient bien différemment dans une autre. Un légat pouvait faire empaler une centaine de Riorcans avant de rentrer chez lui choyer femme et enfants.
Le caturanga se révéla être un jeu de guerre. L’objectif était de contrôler les trois lunes – le Soldat, le Sage et le Vagabond – en utilisant les fantassins, la cavalerie et les prétendus Principes, des pièces puissantes telles que le Tribun, qui avait des facultés spéciales. Les pièces de terrain pouvaient aussi servir à avancer plus vite ou à entraver la progression de l’adversaire.
C'était parfaitement ridicule. Tandis qu'elle se la coulerait douce au palais, son peuple mourrait de faim et se ferait massacrer !
C'était parfaitement ridicule. Tandis qu'elle se la coulerait douce au palais, son peuple mourrait de faim et se ferait massacrer !
Lucien Florian Nigellus. Vitala ne l'avait jamais vu ; il avait pourtant occupé ses pensées et orienté ses études pendant des années.
- Je l’enlève pour que votre jambe puisse guérir, reprit Hanna. Sentez-vous déjà une différence ?
Lucien avait le regard vitreux.
- Je ne peux même pas me lever, marmonna-t-il. Maudit cheval.
Vitala et Hanna échangèrent un regard perplexe.
Lucien se tourna vers Vitala et sursauta, comme s’il venait tout juste de la remarquer. Il toucha doucement son menton, à l’endroit où il l’avait frappée.
- Qui t’a fait ça ? Je l’empalerai…
- C’est toi, crâne de piaf.
Tu as transgressé l'interdit de l'assassin : tu es tombée amoureuse de ta cible.
- Tout le campement ne parle que de ça ! rugit Lucien. Tout le campement raconte comment je t'ai torturée dans le lit conjugal, au point que tu hurlais comme une victime empalée, avant de t'enfuir en pleine nuit ! On me prend pour un sadique, un pervers, un monstre assoiffé de violence !
Stupéfaite, Vitala regarda le thé couler sur les parois.
- Je dois reconnaître que tu te donnes beaucoup de mal pour démentir cette réputation.