Le Jeu de l'assassin

- Souviens-toi seulement que tu n'es pas encore hors de danger. Si tu ne tiens pas les promesses que tu as faites pour Riorca, je te tuerai quand même.
Il souleva les paupières.
- Continue à me dire des choses cochonnes, et peut-être qu'on n'aura pas besoin d'attendre une demi-heure.

- Tout le campement ne parle que de ça ! rugit Lucien. Tout le campement raconte comment je t'ai torturée dans le lit conjugal, au point que tu hurlais comme une victime empalée, avant de t'enfuir en pleine nuit ! On me prend pour un sadique, un pervers, un monstre assoiffé de violence !
Stupéfaite, Vitala regarda le thé couler sur les parois.
- Je dois reconnaître que tu te donnes beaucoup de mal pour démentir cette réputation.

La phase de séduction était la plus facile, mais Vitala n'avait encore jamais eu pour cible un empereur.
« On en sait très peu sur sa vie amoureuse, lui avait dit Bayard. Seulement qu'il en a sans doute une. »
Et si il aimait les blondes ou les rousses ? Grands dieux ! et s'il préférait les hommes ?

Elle le suivit, le pas hésitant sur la terre ferme après deux semaines passée en mer. La pierre fendue de Remus n'était pas visible. La plupart des mages kjallans la portaient autour du cou, accrochée à une chaîne, cachée sous leurs vêtements. Le col de l'uniforme de Remus dissimulait même la chaîne. Il était mage, sans aucun doute – comme tous les Legaciatti –, mais elle ne put définir quelle magie il pratiquait. Etait-il mage de guerre ? C'étaient les seuls difficiles à tuer. Elle détendit légèrement son esprit, s'ouvrant aux minuscules failles qui séparaient son monde du monde spirituel, et visualisa les fils d'un bleu spectral qui représentaient les protections du mage. Il était bien armé contre la maladie, les parasites, et même la conception d'un enfant.

- Je l’enlève pour que votre jambe puisse guérir, reprit Hanna. Sentez-vous déjà une différence ?
Lucien avait le regard vitreux.
- Je ne peux même pas me lever, marmonna-t-il. Maudit cheval.
Vitala et Hanna échangèrent un regard perplexe.
Lucien se tourna vers Vitala et sursauta, comme s’il venait tout juste de la remarquer. Il toucha doucement son menton, à l’endroit où il l’avait frappée.
- Qui t’a fait ça ? Je l’empalerai…
- C’est toi, crâne de piaf.

- Je vous porterais bien, mais…
Il haussa les épaules.
Elle pouffa de rire. C’était comme si elle avait trop bu. Au fond d’elle, elle s’étonnait de son comportement absurde. Il avait chancelé, mais c’était elle qui avait l’impression de perdre l’équilibre. Pourquoi son corps répondait-il à cet homme avec tant d’enthousiasme ?

- Tu es plus petite et plus faible que moi. (Bayard se tenait au-dessus d’elle, balançant son épée.) Crois-tu que tu puisses te permettre d’être aussi lente ?
- Je ne pas ce genre d’assassin, se justifia Vitala. Je ne tue pas avec une épée.
Mauvaise réponse. (Bayard la tira pour la relever, lui assenant un autre coup douloureux.) Ta cible est un empereur. Il est protégé par les Legaciatti, les meilleurs guerriers de Kjall. Pour atteindre une cible si haut placée, tu dois être tous les genres d’assassin. Tu ne sais pas comment les choses vont se passer, contre quoi tu devras peut-être te défendre. Garde intérieure.

Il repensa au dîner d’Etat et à l’apparition de la jeune femme dans la robe bleue qu’elle avait empruntée. Oh oui ! il avait bien envie de lui ôter quelques couches.
Maudite Tasox.

Etrangement, Vitala se sentit triste. Elle avait tant apprécié l’enthousiasme et la féroce énergie de l’empereur qu’elle avait presque oublié qui il était, et la raison de sa présence. Elle n’avait accompli aucun progrès concernant la phase de séduction. Lucien paraissait si agréable – pas franchement du genre à infliger des horreurs au peuple de la jeune femme. N’oublie jamais, se sermonna-t-elle tandis qu’il disparaissait. Cet homme a commis des atrocités, et tu es là pour le tuer.

- [...] Je n'ai rien, Lucien. Je n'ai personne.
- On m'a traité de bien des noms, Vitala, mais de "personne", ça, jamais.
- Je ne parle pas de toi. Je veux dire que je n'appartiens à aucun groupe.
- Nous formerons notre propre groupe. Ta place est auprès de moi.