Les mains ne mentent pas, elles laissent leurs traces, leur sensibilité faite de faiblesses.
Ma bouche contre ton oreille, je te dis des mots qui ne s'écrivent pas. Des mots qui exigent la voix. Des mots de toi à moi, les derniers prononcés qui traversent ta peau devenue froide, qui parcourent tes oreilles, ton cerveau, tes veines et tout ton squelette pour rejoindre ton souffle, si ténu soit-il. Des mots d'amour, de gratitude, alors que déjà se profile l'incertitude de ne pouvoir jamais vivre sans toi.
On a tous un paysage vers lequel on revient sans cesse, n'est-ce pas ?
Le corps est un mystère, ce pouvoir qu’il a de révéler ou de cacher la personne qu’il incarne me fascine. On ne connaît pas l’autre tant qu’on ne l’a pas vu se mouvoir, tant qu’on ne l’a pas vu habiter l’espace.
Quelque chose en moi se désintègre, me laisse sans repère. Tout s'évanouit, se tapit, pour laisser place à un grand vide. Alors, je me dis qu'il est temps.
Quand la maladie avec un grand A avait déjà paralysé bon nombre de tes connexions neuronales et que nous te parlions sans savoir si tu nous comprenais ou même nous entendais, quand tes accès de lucidité te laissaient entrevoir la détérioration de ta pensée, que l'angoisse et la colère te prenaient, nous étions impuissantes. Je ne savais plus te parler, mes mots devenaient creux, vains, gênés. J'avais l'impression de parler seule, que mes phrases étaient happées par ton gouffre sans y trouver le moindre écho.
Cette nuit, (…), on se parle doucement pour ne pas déranger les minutes qui passent. On les laisse filer avec respect, les dernières.
Je découvre brutalement que le meilleur comme le pire cohabitent en nous.
Nous essayons sans cesse de les séparer, collectivement ou individuellement, mais ce monstre à deux têtes n’a qu’un seul corps. Je suis ce monstre, tu es ce monstre, fait de beauté et de violence. Je l’ai compris là, dans cet écrin de verdure, tel le « Dormeur du val », la mort dans cette nature si belle.
Je ne veux rien oublier, je veux que ça s'inscrive. Dans quelques heures, je ne te verrai plus, c'est maintenant que se fait le souvenir.
Si tu ne regardes pas la mort en face, Ernesto, droit dans les yeux, c'est la vie que tu n'affrontes pas !