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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Au petit jeu du premier roman, on distingue deux catégories d'auteurs.
D'abord, ceux qui tâtonnent et cherchent du solide et de l'efficace pour offrir au public un premier contact plutôt fédérateur.
Ensuite, ceux qui veulent imposer leur marque, leur style d'emblée, quitte à s'aliéner une partie du public.
Brice Reveney, ancien avocat et juriste, appartient clairement à la seconde catégorie. Pour preuve, son premier (gros) roman publié chez la jeune collection du Rayon Imaginaire aux éditions Hachette : le Programme Lazare. Flirtant avec les 500 pages, ce pavé intrigue autant qu'il met mal à l'aise, et cela dès la quatrième de couverture qui nous parle de meurtres d'enfants et d'avenir, deux notions à priori incompatibles.
Mais Brice Reveney a un plan, ou plutôt un programme, et vous n'êtes vraiment pas prêts pour ce qu'il vous réserve…

Nous sommes dans un futur proche, très proche. Tellement proche qu'on ne décèle de prime abord aucune véritable différence avec notre monde.
Frère Marjorie vient d'arriver dans un lieu reculé, une sorte de monastère dirigé par un certain Frère Séverine, et qui sert à la foi de lieu de repentance mais aussi de prison. Une prison d'un type très particulier.
Dans cette France là, le meurtre d'enfants devient une cause nationale, surtout depuis que le susnommé Frère Séverine a jeté un pavé dans la mare en proposant une solution pour le moins inattendue au problème posé par ce genre d'atrocités.
Frère Séverine n'est pas un moine, même s'il en arbore la bure.
Frère Séverine est un tueur d'enfants qui porte le prénom de la petite fille à laquelle il a ôté la vie quelques années plus tôt. Alors qu'il purgeait sa peine, notre homme a une illumination en récupérant les effets personnels de sa victime : Et s'il pouvait ressusciter la gamine ?
Maniaque et obsessif, il entreprend alors d'imaginer ce à quoi aurait ressemblé la vie de Séverine si elle n'avait jamais croisé sa route.
Pièce par pièce, morceau par morceau, la petite reprend chair dans l'esprit de son tueur devenu Tuteur. Et voici que naît le Programme Lazare.
Voté après un débat des plus houleux à l'Assemblée Nationale, le programme prévoit que le tueur d'enfants soit condamné à prolonger la vie de sa victime en imaginant jour après jour ce que son existence aurait pu être sans l'horreur qui s'est abattue sur elle au bénéfice des parents éplorés. Installés dans un Monastère, suivi de près par les autorités, les dix premiers Frères s'attellent dès lors à cette tâche ardue proche de l'impossible. C'est le dernier arrivant, un certain Frère Marjorie, qui va plonger le plus loin dans cette entreprise insensée pour offrir à Véronique et Bertrand Goubreau une chance de « voir » leur fille grandir.
Ainsi, tel le chat de Schrödinger, Marjorie est à la fois morte et vivante.
Dire que le postulat de départ du roman de Brice Reveney est d'une audace rare serait un euphémisme. D'autant plus que le bonhomme n'a nullement l'intention de faire les choses à moitié.
Pendant près de 500 pages divisées en trois parties, nous allons suivre de près ce fameux programme Lazare en nous centrant principalement sur la tentative surréaliste de Frère Marjorie sous la houlette du fascinant Frère Séverine. Pour se faire, Brice Reveney emploie tous les moyens mis à sa disposition par la fiction. le roman traditionnel, bien sûr, mais également des documents officiels tel que le compte rendu d'une séance de l'Assemblée Nationale, un extrait de programme éducative, un article de journal ou encore une lettre d'officier de justice. Pour mieux figurer encore les multiples niveaux de lecture de cette histoire et rendre compte des moments où fiction et réalité s'entremêlent, l'auteur change de police d'écriture ou scinde la page en plusieurs colonnes, mettant sur le papier la scission mentale qui se produit pour ses personnages.
Le Programme Lazare est une entreprise d'un sérieux impressionnant à peine entrecoupée d'excès humoristiques pour éviter de sombrer entièrement tant la noirceur du sujet va loin, très loin.

En inventant une sorte de justice réparatrice poussée à l'extrême, Brice Reveney ouvre les portes à une réflexion ample et glaçante sur le deuil et le déni, deux notions indissociables et inévitables. Ou presque.
Puisque par le Programme Lazare, voici que la société tente d'oblitérer le processus du deuil et la douleur qui s'y attache.
Pour traiter de ce sujet sensible, l'auteur ne fait pas dans la demi-mesure puisqu'il fonde toute son histoire sur un tabou social complet : la mort d'un enfant. Et pas n'importe quelle mort non plus, celle par la violence d'un autre, un homme devenu monstre aux yeux de tous. Les choses, cependant, sont pourtant beaucoup plus complexes, même dans des ténèbres aussi épaisses. En effet, le Programme Lazare n'a pas peur du noir, ni du malaisant. Pire, il fait dans l'ambiguïté morale auprès du lecteur qui se retrouve bien embarrassé à suivre les états d'âmes de plusieurs personnes coupables du pire, oubliant parfois l'espace de quelques chapitres que ceux qu'il suit sont aussi des assassins ignobles.
D'écho en écho, Brice Reveney montre une société qui veut nier l'existence de crimes aussi terribles et effroyables, à la fois sur le plan de leurs conséquences à l'échelle individuelle comme à l'échelle collective, sans même parler de ces encombrants tueurs qui deviennent de facto des monstres. La réalité du roman montre pourtant quelque chose de plus insidieux, qui va au-delà du sinistre conte dont on veut se convaincre.
Des raisons, des éléments prémonitoires, un environnement, bref, des explications à ce que l'on veut éviter de regarder.
Expliquer l'indicible ne veut cependant pas dire le cautionner et Brice Reveney est bien plus intéressé par l'obsession d'une société pour une justice qui frôle le grotesque et qui, surtout, permettrait de gommer le réel. Dès lors, le Programme Lazare déploie une personnalité presque Dickienne dans son déroulé tant l'auteur met un point d'honneur à imaginer la situation de ces parents à qui l'on offre la possibilité de dérouter leur chagrin pour faire croire que l'être aimé existe toujours.
Ainsi, Marjorie semble vivre sa vie, sans chair ou chaleur mais avec un impact réel sur ce qui l'entoure. Elle intègre des classes, se fait des ami(e)s par message ou par lettre, sort même avec des garçons à qui l'on impose une relation qui, en réalité, n'existe pas. Entêtée pourtant, la société est prête à tout pour montrer sa sollicitude et sa bienveillance afin d'aider la victime pourtant décédée depuis longtemps.
Perturbant, le procédé n'en reste pas moins malin et passionnant à lire tant Brice Reveney plonge loin dans son délire et tente de rendre la chose la plus crédible possible, ou du moins, jusqu'à un certain point.

De l'autre côté du mur de cette étrange réalité, on retrouve une congrégation de personnages à la fois complètement fous et complètement (extra)lucides, sortes de mélange improbable entre religieux, devins, créateurs et fous à lier.
Il est d'ailleurs cocasse de constater que Brice Reveney lie à ce point des tueurs d'enfants au fait religieux quant bien même le Doyen de cette congrégation semble à tout prix vouloir humilier son Créateur.
Le Programme Lazare se pare d'ailleurs souvent d'un ton religieux, presque mystique, mettant en avant une société qui déifie l'Enfance et fait des pauvres petites victimes des martyrs en puissance, image d'un Jésus en culottes courtes qui justifie à peu près tout.
Le problème, c'est qu'à force de pousser le plus loin possible son entreprise, Brice Reveney demande une sacré suspension de sa crédulité au lecteur, notamment dans la dernière partie, où tout cela flirte avec le grotesque ou, plutôt, avec une zone grise entre surréalisme et folie collective. Ce qui reste pourtant le plus intéressant et roublard là-dedans, outre la propension du récit à accumuler les éléments improbables pour maintenir des gamins morts en vie, c'est à quel point ce déni de réalité nécessite des cerveaux créateurs qui brisent les murs du Réel.
Ici, le roman rapproche sans le vouloir ces assassins devenus démiurges de l'écrivain et du créateur d'univers, interrogeant sur le pouvoir littéraire et les personnages de papier dont accouchent nos auteurs préférés.
Qu'est-ce qui, fondamentalement, sépare l'assassin de l'écrivain qui tue ses propres personnages ? de pages en pages, la limite entre la fiction qui fait revivre Marjorie et la réalité où elle n'existe plus se brouille, tant et si bien qu'on peine ultimement à se rappeler qu'elle est effectivement morte et qu'elle n'est qu'un personne inventée par un autre personnage.
Vertige métaphysique et angoisse existentielle.
Le Programme Lazare n'épargne donc rien à son lecteur et semble toujours vouloir le placer dans l'inconfort, niant les principes manichéens qui, pourtant, devraient très facilement s'appliquer dans le cas le plus caricatural que puisse nous offrir la justice.
Mais rien n'est aussi simple une fois que l'on passe de l'autre côté du Miroir.
Et la Justice semble ici aveugle à ce qu'elle peut causer à force d'excès et d'ampleur. Sans deuil, pas d'avenir pour les victimes et pour les assassins, pas de pénitence et un éternel recommencement au sein d'une société qui n'apprend rien et n'évolue plus.

Aussi fascinant que complètement inconfortable, le Programme Lazare est un premier roman d'une audace qui force le respect. Soutenu par un style complexe et un jusqu'au-boutisme clivant à souhait, l'histoire de Marjorie et des Frères de cet étrange monastère risque bien de vous hanter quelques temps.
Imparfait certes, mais drôlement impressionnant.
Lien : https://justaword.fr/le-prog..
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Une réflexion sur le deuil ... qui foisonne de vie. L'attention aux personnages, la richesse psychologique correctement mixée à la dramaturgie sont rares en SF, si bien qu'on referme le livre en se disant qu'on ne vient pas vraiment de lire de la SF.
Il s'agit en fait davantage d'une vision cauchemardée de notre monde où l'homme cherche à dominer la biologie en jouant sur le genderfluid et en décidant du moment de sa mort... ou ici, en refusant le travail du deuil, les assassins d'enfant étant condamnés leur vie durant à prolonger virtuellement l'existence de leurs victime pour le confort mental des parents.
Un point de départ étrange donc, mais aussi à son service un livre foisonnant de vie. Il y a les tueurs enfermés dans un ermitage, tous affublés du prénom de leur victime, parmi lesquels frère Dylan, qui "reconstitue" avec une rage impuissante un enfant à la vie malchanceuse, frère Nicolas, dont l'enfant est trop parfait pour ne pas susciter de doutes sur la véracité de sa reconstitution, frère Nabilla, arrivé au bout du processus de dépersonnalisation engendré par une vie consacré à la mémoire d'un autre... Il y a le doyen du monastère, obsédé par les thèses déterministes qui lui permettent de se déculpabiliser des horreurs qu'il a commises ... au point de se laisser manipuler par frère Marjorie, la figure centrale autour duquel s'articulent toutes les péripéties de l'histoire!

Il y a aussi les parents de Marjorie, au début dévorés de souffrance, puis par la culpabilité lorsqu'ils vont vouloir mettre fin à la reconstitution de leur fille pour préserver leur santé mentale... car mettre fin à la reconstitution de Marjorie, n'est ce pas la tuer une seconde fois?
Il y a le "petit peuple" du programme, depuis le consultant psychologue arriviste jusqu'aux "petites mains" qui, occupées à reconstituer les enfants dans le monde physique, en viennent à les idôlatrer... là où certains citoyens sommés de faire partie de la vie de Marjorie ne savent que faire pour s'en dépêtrer (voir l'excellent personnage de Romain).

Et il y a enfin les enfants reconstitués du Programme, que l'histoire érige progressivement au rang de personnages à part entière: la "Sainte patronne" Séverine, légendaire car jamais reconstituée, Nicolas, Dylan, et naturellement cette Marjorie qui met l'histoire à feu et à sang, tant la parfaite reconstitution de sa personnalité charismatique déchaîne l'amour et l'exclusivisme, plaçant finalement en concurrence le tueur, l'Etat et les parents...
Tant pis si je spoile quelque peu (et je ne dis rien entre autres du twist final et des documents zarbi disposés un peu partout pour "authentifier" l'histoire), le tout est de donner une idée de ce roman hors normes qui laisse profondément troublé. S'il y a d'un côté les livres qui enfoncent les portes ouvertes et ceux qui ouvrent des portes dont on n'avait même pas idée, à coup sûr ce livre appartient à la seconde catégorie.
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Une dystopie glaçante de Brice Reveney chez Hachette (collection le Rayon Imaginaire)

"Les assassinats d'enfants sont déclarés Fléau National. Ce qui vous est arrivé n'est pas juste. Ça n'aurait pas dû arriver. Ça ne devrait jamais arriver. Par conséquent, on vous autorise à considérer que ce n'est pas arrivé. Tel est le Programme Lazare en tout simplicité."

Ce roman écrit avec beaucoup d'intensité dépeint cette France dystopique où un programme gouvernemental permet aux familles de denier le deuil de leur enfant disparu d'une manière plus que singulière. En effet, le meurtrier se voit confier la tâche de remplir le vide qu'il a créé. A partir d'observations empiriques, d'analyses statistiques, le criminal infanticide doit déduire et reconstituer la vie qu'il a prise à un enfant. Ses conclusions sont envoyées aux parents pour qu'ils continuent de voir grandir leur enfant dans le déni le plus total de la réalité (accompagnés bien entendu par une thérapie et des médicaments pour renforcer cette illusion macabre).
Très vite, ces enfants grandissent et deviennent adultes, les parents veulent toujours plus de réalisme dans l'illusion créée et forcément le programme Lazare dérape...

J'ai aimé ce roman autant qu'il m'a dérangée. La plume de l'auteur est vraiment particulière. Très incisive, ironique parfois et nous plonge directement dans la psyché détraquée de ces meurtriers, de ces parents désespérés et de toutes ces personnes qui croisent le Programme Lazare.
La conclusion est glaçante, comme le reste du récit, tant on se dit en refermant le livre que notre société ne pourrait être qu'à un pas de franchir ce cap macabre.
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'' Parents, souvenez-vous que vos enfants ne '' jouent '' pas ''

La dernière masse critique @babelio m'aura permis de découvrir ce magnifique roman publié chez @hachetteheroes et écrit par Brice Reveney. Merci à eux.

Que ferions-nous si notre enfant venait à mourir ? Là, maintenant ? Pleurer, crier, s'insurger contre la cause, vouloir rejoindre cet enfant chéri.. Tant de possibilités... Mais dans ce roman l'auteur propose une possibilité bien plus étrange.

Et si le meurtrier de notre enfant au lieu de faire de la prison devait rentrer en communion avec l'enfant et imaginer son avenir ? Si la société entière faisait comme si les enfants existaient toujours. En créant des situations, des relations avec des vivants... Une idée saugrenue, pas vrai ?

Entre dégoût et fascination, nous lecteurs ne sommes pas laissés pour compte dans ce programme fantasque et terrible.

Connaissez-vous Saint Lazare ? Je ne parle pas de la gare (bien qu'elle soit nommée d'après lui), mais Lazare celui qui a été ressuscité par Jésus.
Là vous vous demandez sûrement '' est-ce un livre sur la religion ? ''. C'est beaucoup plus complexe que ça.

On y parle de la mort donc forcément la religion n'est jamais loin. Et si une société décidait de faire vivre les morts à travers des vivants de cette manière... Aussi poussée.. Imaginons les excès, les problématiques, les limites.

Ce roman nous pose tout ça, nous pousse dans nos retranchements. J'ai eu besoin de longues journées de réflexion pour écrire cette chronique. Je ne savais pas si jamais aimé ou non... Je peux à présent me positionner : je l'ai aimé autant que je l'ai détesté.

Il joue sur mes peurs de parent, imaginer perdre mon enfant est atroce... Et sur ma faiblesse humaine qui tendrait vers sa résurrection par tous les moyens. Les personnages rendent l'atmosphère encore plus lourde, ils sont dans la souffrance, dans la recherche fanatique ou encore dans la folie. Personne n'est sain d'esprit et à un stade les prisonniers sont peut être les plus raisonnés.

Je conseille absolument ce roman, en ayant le coeur accroché et les idées bien en place. Il y a des scènes qui rentrent totalement sous un TW pour la violence physique que l'on entraperçoit et mentale que l'on suit tout au long du texte.

Je me permet de finir en soulignant la magnificence de cette collection. Honnêtement elle est vraiment de qualité j'ai envie de tous les avoir !

'' Bataille disait : sans le Mal, la création devient très vite ennuyeuse . Vous auriez du plaisir à gérer vos enfants si tout allait bien dans leur vie ? ''
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La mort : un sujet délicat, que les écrivains et les politiques manient habituellement avec des pincettes. Ici, un gouvernement mi-social, mi-libéral décide d'astreindre les assassins d'enfants à la tâche de se consacrer à l'évolution de l'enfant qu'ils ont assassiné, jour après jour, afin de communiquer cette fiction aux parents endeuillés pour, autant que possible, leur rendre la vie plus douce. Une fiction travaillée scientifiquement qui a toutes les apparences du vrai, et sera même corroborée par des travaux, films, photos de l'enfant, et plus encore, à prendre en compte dans la vie des tiers qui seront amenés à « côtoyer » l'enfant.

D'emblée devant un topic pareil on se dit : je n'y croirai jamais (réflexe qu'avec le recul je juge prétentieux )
Or force est de constater qu'ici ça fonctionne.

Psychologiquement d'abord : les parents hésitent longuement avant de dire oui au Programme, montrent leur désaccord (la mère est plus pour que le père), passent en revue leurs scrupules (est ce sérieux ? est ce moral d'inventer un futur, même authentifié, à leur fille ?), résistent à cette tentation jusqu'à la limite de ce point du travail de deuil où ils ne pourront pas revenir en arrière (très belle idée qu'ils se torturent et endurent les mutations physiques et tourments psy afin de légitimer une solution … non légitimable). Et enfin l'acceptation pour un voyage qui se révèlera à destination d'un enfer pire encore que ce deuil inassumé.

Dramaturgiquement ensuite : l'auteur décrit tout ce qui va crédibiliser ce principe pour les parents de s'illusionner sur la fiction: aide médicamenteuse pour créer des souvenirs arrangés et affadir leur esprit critique, coaching d'une psy pour installer une sorte de dialogue médiatisé avec l'enfant, « stimuli » fabriqués qui sont des « traces » de la vie de l'enfant…

Parallèlement, le roman crédibilise la méthode de « reconstitution » de l'enfant utilisée par les tueurs: méditation, logique, méthodes statistiques, réunions, recours au hasard, identification à l'enfant, divination enfin lorsque l'assassin de Marjorie se découvre des facultés d'accès à la conscience de Marjorie (dans un autre monde?) qui vont lui permettre d'imposer une nouvelle version du programme Lazare visant à réintroduire totalement l'enfant mort dans le monde réel… quitte à ce que ce retour des morts bouleverse l'existence des vivants… jusqu'au plus contre productif des résultats: que les parents souhaitent mettre fin (i.e tuer?) à cette existence fictive de l'enfant revenu.

On suit aussi les assassins (dont la pédophilie n'est jamais illustrée) dans des enjeux secondaires de toutes sortes, souvent cocasse (péripétie avec le ministère, rivalités, jalousies..), ce qui pourrait paraitre aussi malaisant que de suivre Patrick Bateman de American Psycho ou le Alex d'Orange mécanique. Mais n'est-ce pas que le livre met le doigt sur des choses que nous préférerons ignorer ? Que ces gens sont aussi des humains (trop humains, dirait Nietszche) ? qu'un lien malsain, indicible, existe à vie entre eux et ces parents qu'ils ont meurtris (on nous met en parallèle les parcours intérieurs des parents et du tueur, tout aussi réticents à ce Programme)? qu'assigné à reconstituer l'enfant 24h/24, son tueur peut le comprendre et l'aimer mieux que les parents ?
Forcément, tout cela dérange, mais faut-il attendre de la littérature des clichés rassurants qui nous brossent dans le sens du poil ou des choses qui nous heurtent, nous mettent à l'épreuve, nous créent des perspectives de réflexion et d'émotion ? la seconde démarche (proposer) n'est-elle pas plus humaniste et respectueuse pour le lecteur que la première (imposer) ?
L'ironie qui court tout le long de ce récit tragique, nous permet toutefois de surnager, ainsi que l'attention portée à l'humanité des personnages.
Alors bien sûr, reste ce cliché de la dystopie : le grand méchant dans tout ça finalement c'est l'État ! Mais ici un état-providence dévoyé, qui démarre le Programme Lazare avec les meilleures intentions et se perd en cours de route, entrainant les protagonistes dans la folie, le meurtre, le suicide.

Bref : un livre ni pour les cartésiens ni pour les sensibles. Chapeau à l'éditeur qui se permet ça par les temps qui courent. Ca me donne envie d'acheter les autres livres de la collection.
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On aborde ce livre avec curiosité et circonspection, tant à cause du sujet qu'en raison des 480 pages du volume... Heureusement, on va de surprise en surprise: changements de tons et de styles, insertions de faux documents relancent l'intérêt et accompagnent le lecteur.
Evidemment, tout ça est long et part un peu dans tous les sens: nombreux personnages, péripéties , sous intrigues. Pourtant, difficile de ne pas y voir un parti-pris littéraire, tant tout ça, au bout du compte s'avère cohérent.

J'ai lu que certains lecteurs trouvaient le livre inutilement long... mais n'est ce pas l'affaire de l'auteur de définir jusqu'où aller ? L'argument des pages et intrigues "en trop" est audible s'agissant de romans parus sous forme de feuilletons, où l'appât du gain incitait l'auteur à emprunter des bas-côtés (Balzac, Dumas, Dostoïevski, Hugo ), il l'est moins pour une édition autonome.

La problématique du Programme Lazare, je crois, est en fait celle de toute oeuvre qui au delà de raconter une histoire se pique d' inventer un univers.
En l'occurrence cette frénésie narrative peut s'expliquer par la volonté de faire vivre un personnage par défaut: la petite Marjorie (la véritable héroïne du roman) est et reste morte tout au long de l'histoire, elle n'existe (et jusqu'au déni de tout bon sens), que par toute une agitation dans les têtes et dans les corps, avec le renfort d'un arsenal administratif d'état.
Cela correspond également à la mégalomanie du narrateur principal et sans doute à celle de l'auteur, qui en fait beaucoup pour nous faire croire à ce dispositif insensé (et en ce qui me concerne y parvient). Ainsi à un certain tournant du livre, on a l'impression que le narrateur omniscient (l'auteur?) devient purement et simplement fou devant ce miracle de la vie retrouvée... allant jusqu'à consacrer un poème à Marjorie, comme ça, sans raison dramatique!
Il me semble que tout cela participe d'un mouvement général vital tout à fait en phase avec le sujet, qui est de faire triompher à tout prix la vie sur la mort...

Pour une fois qu'un roman français ne cherche pas à engranger du lecteur mais à le faire exister, à coup d'expérimentation et de violence psychologique (parfois cruelle... la dégradation des parents, leur confrontation avec le tueur sont des moments épouvantables), je trouve qu'il faut encourager l'éditeur qui ose nourrir la littérature en dérangeant, alors que beaucoup se complaisent dans la facilité. Personnellement j'en espère d'autres du même genre.
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Que rajouter à l'excellente critique de Justaword qui fait désormais référence (pardon les autres)? Juste préciser que je ne m'attendais pas à ce que ce roman conserve son intérêt de bout en bout. Avec ce genre de « bonne idée » de départ, on a souvent un début en trombe suivi d'un enlisement progressif... Ici au contraire, sans même parler des péripéties qui font évoluer l'histoire, l'intérêt est constamment relancé par les « ruptures » de ton et de styles qui reviennent régulièrement sans pour autant faire tomber le tout dans un patchwork pesant.
L'inclusion de textes « documenteurs » (faux débats à l'Assemblée, fausse plaquette de l'éducation nationale, faux article etc) joue aussi à cet égard mais vient également apporter un trouble au lecteur, comme si tout ce délire était vrai.

La première partie met en parallèle d'une part l'entrée progressive et douloureuse des parents dans le programme Lazare, d'autre part l'entrée au forceps de Frère Marjorie dans son travail de "reconstruction" de sa victime ... La seconde partie montre, avec l'autonomie progressive de Marjorie, les problématiques du programme Lazare dans la société et la résolution de Frère Marjorie de les surmonter pour aller plus loin par amour pour Marjorie... La troisième met en scène la mise en oeuvre du programme ainsi révolutionné, qui devient totalement hors de contrôle de Frère Marjorie, des parents et de l'Etat, un peu comme la créature de Frankenstein qui s'enfuit dans la campagne …

Bref, cette histoire est la chronique d'une tragédie annoncée, celle d'une société qui en veut toujours plus jusqu'à sacrifier ses membres sur l'autel du progrès social ... lesquels se laissent guider, tenaillés qu'ils sont par leur besoin obsessionnel d'aimer et d'être aimé.
Je ne vois pas d'autre façon de résumer ce livre qui pour un roman français m'a carrément bluffé... Voilà.
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Je ne sais pas quoi penser de ce roman honnêtement. C'est un de ces romans que vous lisez, mais il est tellement bizarre que vous avez l'impression de voir l'intrigue défiler de très loin, sans réussir parfaitement à rentrer dedans. C'est un sentiment étrange, et ici, il est totalement voulu.

Nous nous trouvons dans une dystopie par l'absurde. L'idée de base est intéressante : lorsqu'une personne tue un enfant, cette personne doit remplacer l'enfant auprès de sa famille pour qu'elle ne ressente pas sa disparition, agir comme s'il était encore là, sans être là. Tout se base sur la volonté de voir des signes placés par l'équipe du programme Lazare et des papiers qui imaginent la vie de leur enfant, jour après jour, année après année, et cela pendant les plus de vingt ans que dure le récit. L'idée de base est déjà très morbide, mais elle l'est volontairement : notre fascination pour le sujet fait que l'on a envie d'en savoir plus, et c'est exactement ce que recherche l'auteur. Il veut nous tromper, nous encourager à plonger dans l'histoire jusqu'à ne plus être capable d'en sortir et d'assister, impuissant et avec les parents de la petite Marjorie, personnage principale du roman, à une descente progressive aux enfers, entre perte de santé mentale, règles de plus en plus absurdes et oppressantes, et obligations pour ceux qui entrent dans la vie de Marjorie de jouer le jeu, parfois contre leur gré, sous peine d'aller en prison. On en arrive même au point où l'assassin se fait de plus en plus une place dans cette famille, au point de l'éclipser et de faire oublier qu'il est celui, en premier lieu, qui les a mis dans cette situation.

Le style littéraire est très étrange, oppressant, malaisant. On ressent du dégoût pour ce qu'on lit autant que cette fascination morbide qui nous pousse à aller toujours plus loin dans l'horreur, juste pour voir ce qui peut arriver. Ce qui va arriver. Plus on avance dans l'histoire, pire c'est. Si vous n'êtes pas complètement outrés à la fin de ce livre, si vous n'avez pas envie de le rejeter, c'est que l'auteur n'a pas réussi à vous toucher comme il le devrait. Je trouve donc parfaitement normal que des gens abandonnent le livre en cours de route, et je pense d'ailleurs que ça aussi, c'était voulu par l'auteur. J'ai mis énormément de temps à finir ce livre, parce que plus on avance, plus il devient oppressant.

Toutefois, le roman n'est pas exempt de défauts. le style est difficilement accessible, parfois très lourd sans que ça ne soit vraiment justifié. le livre souffre aussi de beaucoup de longueurs. Certains chapitres auraient pu être coupés pour aller plus à l'essentiel, je pense qu'on aurait pu gagner 50 ou 100 pages comme ça honnêtement. Parfois j'avoue avoir passé quelques chapitres purement philosophiques qui ne concernent pas Marjorie, sans que ça n'entrave le bon fonctionnement de l'histoire. C'est un livre qui veut trop dire, et ça se ressent notamment vers le milieu de la lecture, où on aborde trop de sujets différents au point de s'y perdre un peu.

J'ai passé malgré tout un bon moment de lecture, très étrange et bizarre, mais incroyablement riche dans sa créativité et sa construction. C'est un roman qui prend des risques, limite expérimental, et j'ai été très surprise que ça se retrouve chez Hachette honnêtement. Ça m'a rendu très curieuse de découvrir les autres romans de la collection !

Je pense que c'est un de ces livres qu'il faut lire par soi-même pour se faire son idée dessus, c'est difficile de le décrire quand nous même on ne sait pas trop ce que l'on vient de lire. Si vous aimez les OVNIS littéraires, c'est clairement pour vous !
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Drôle de roman. Les références/emprunts qu'il évoque, le mélange de genres qu'il brasse en font un objet assez étonnant et très pop. On y trouve des réminiscences, en vrac, de: Orange mécanique, Gide, la phénoménologie de l'esprit de Hegel, Alien 3, l'homme révolté de Camus, le surréalisme, le style "libre pensée"de Belle du seigneur, les collages de Dos Passos, la mythologie grecque.. . J'ai même cru relever dans un passage particulièrement éprouvant un clin d'oeil à la dernière maison sur la gauche de Wes Craven...
Le pire étant que tout ça se fond dans un ensemble cohérent et très, très troublant. On ne se remet pas tout à fait de s'être confronté ainsi avec ses peurs, ses limites et ce qu'on croyait savoir de la vie et du rapport à l'Etat. Plutôt rare comme sensation... Et aussi un bel objet ! Je lirai le prochain livre de cet auteur et les sorties de cette étonnante collection.
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