C'est une expérience assez intéressante que de passer une soirée à filer un homme que vous comptez tuer le lendemain : le regarder bâiller, s'énerver parce qu'il ne trouve pas la monnaie pour acheter un journal, sourire en pensant à quelque chose.
C'était une leçon que de nombreuses expériences devaient venir confirmer par la suite ; le dé peut avoir presque aussi peu de jugeote qu'un être humain.
Cher Dr Rhinehart,
J'ai découvert ma fille de seize ans sur le canapé du salon avec le facteur. Elle m'a dit de m'adresser à vous. C'est quoi, ce bordel ?
Cordialement,
John Rush
« Cette deuxième version est l'un de nos meilleurs exercices. Le Dr Rhineholt Budweir a réussi à se débarrasser d'une peur de la mort qui paraissait incurable : chaque matin, il devait appuyer sur sa tempe un pistolet chargé d'une seule balle et lancer deux dés. En cas de double un, il appuyait sur la gâchette. Ainsi, chaque matin, il avait une chance sur deux cent seize de se tuer. « Dès quil a découvert cet exercice, le Dr Budweir n'a plus ressenti cette peur de la mort ; à sa place, il éprouvait une immense légèreté, ce qui n'avait pas été le cas depuis sa plus tendre enfance. Sa mort soudaine, la semaine dernière, à l'âge de vingt-neuf ans, est une véritable tragédie.
J'ai alors formulé cet aphorisme brillant : dis-moi comment le patient s'est suicidé et je te dirai comment nous aurions pu le guérir.
Mais parfois, il est impossible d'avoir l'air vraiment digne, même quand on a une pipe à la main.
Telle était donc l'intention de Jésus quand il a retrouvé Mme Jacob Ecstein au coin de la 125° rue et de Lexington Avenue, à Harlem, avant de la conduire à une partie éloignée du parking de l'aéroport de La Guardia qui donnait sur la baie. La femme était de bonne humeur, détendue. Elle a parlé en route de Portnoy et son complexe, un livre que Jésus n'avait pas lu. Il était néanmoins clair, en écoutant Mme Ecstein, que l'auteur de ce roman n'avait pas découvert la puissance de l'amour, ce qui avait pour effet sur sa lectrice de l'emmêler de plus en plus dans les rets du cynisme insouciant, candide et sans vergogne.
Après le déjeuner, je suis allé reprendre ma voiture et, ayant payé ma rançon au parking, je suis parti sous la pluie en direction de l'hôpital. Ma voiture est une Rambler American ; presque tous mes collègues ont des Jaguars, des Mercedes, des Cadillac, des Corvette, des Porsche, des Thunderbird, des Mustang (ça, c'est ceux qui aiment s'encanailler) -mais moi, je conduis une Rambler. À l'époque, c'était sans doute ma contribution la plus originale à la psychanalyse new-yorkaise.
Vous savez, le désir de se tuer, d'assassiner, d'empoisonner, d'anéantir, de violer les autres est généralement considéré par les professions psychiatriques comme "peu souhaitable ". C'est pas bien. C'est méchant. Ou, pour le dire plus précisément, c'est un péché. Quand on éprouve le besoin de se suicider, il faut comprendre et "accepter" ce besoin mais, bonté divine, il ne faut surtout pas se suicider. Quand on éprouve le besoin d'avoir des rapports charnels avec une pauvre ado sans défense, il faut accepter ce besoin mais ne pas la toucher avec le bout du petit doigt. Si on déteste son papa, c'est très bien - mais il ne faut pas le massacrer, le bougre, à coups de batte de base-ball. Il faut se comprendre soi-même, s'accepter, mais il ne faut surtout pas être soi-même.
- Et accepter d'être vaincu, d'être limité, c'est ça la santé mentale?