Le risque

Le recueil commence par le risque : un père décide d'aller à la rencontre de l'homme qui a tué son fils de dix coups de couteau. Ensuite, on enchaîne avec Déshérité, nouvelle dans laquelle un homme, aux obsèques d'un ancien camarade, se souvient de son ami, de sa longue descente dans l'asocialité. En venant à la conclusion qu'il est mort deux fois.
On l'aura compris, il n'y a pas beaucoup de gaieté à chercher dans ces nouvelles. Et même si les quatre suivantes sont légèrement moins sombres car elles laissent une petite (minuscule) ouverture sur quelque chose, il ne faut pas s'attendre à des poncifs modernes du genre « l'amour sauve tout », « le bonheur c'est le lien avec les autres » ou autre.
Des nouvelles bien postmodernes donc. C'est un point commun à ces six forts textes : une postmodernité qui se traduit par un télescopage entre des considérations sociologiques et des trajectoires d'hommes moyens et souvent perturbés.
Ainsi dans Lumières de mai, le personnage principal est un ancien étudiant qui s'est enfermé dans sa chambre, frustré sexuellement et détestant la terre entière :
« Je me demande souvent en traînant sur Facebook : ça buzz, ça buzz… Mais qui baise ? Qui baise vraiment ? Tout semble se passer comme si la pornographie industrielle avait préempté le domaine de la baise […] Tout se passerait-il donc « là-bas », dans les villas cossues de la Porn Valley de Los Angeles, Californie ; dans la sphère autonomisée d'un paradis de foutrerie permanente ? ».
Le thème de la pornographie est repris dans la dernière et très réussie nouvelle du recueil : Melissa L. L'auteur entre dans le réel, dans une parcelle bien délimitée du réel mais sacrément importante : la colonisation de l'imaginaire sexuel d'un trentenaire seul par la pornographie en accès libre et à haute dose sur internet.
Dans la nouvelle Si je m'étais appelé Nicolas C. (autoportrait réfracté), les canons de l'homme sociable et de l'homme frustré sont admirablement rendus. C'est à travers l'homme frustré, celui qui se pose des questions, que nous assistons à cette espèce de comparaison. L'écriture est efficace, l'influence houellebecquienne y est prégnante, pour le meilleur.
« Si je m'étais appelé Nicolas C., j'aurais baisé, baisé, baisé. J'aurais baisé comme on est censé baiser à vingt ans. Si je m'étais appelé Nicolas C., je n'aurais pas eu peur des filles, j'aurais su leur sourire, leur parler, les faire rire, les séduire ».
Mais il y a de la cruauté dans ce texte pour qui a été confronté un jour à cette situation : côtoyer une personne à qui tout réussit, dont les relations sociales et amoureuses sont faciles, une personne qu'on aurait pu être, qu'on voudrait être, une personne objectivement plus heureuse et épanouie. Et, se demande-t-on, qu'est-ce qui fait cette différence ? Peut-être faut-il chercher un élément de réponse du côté de la nouvelle Déshérité :
« Je ne sais plus qui a dit que chaque jour les parents détruisent leurs enfants, sans doute cela n'est-il pas vrai de tous les parents, mais je crois que ceux de Seb faisaient partie de ces parents meurtriers ».

Olivier Bleuez

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