L'oncle Sam, allongé sur une peau de renne en train de nettoyer ses lunettes, commença à glousser de rire.
- Qu'est-ce qui te fait rire ? demanda Louis.
- On vient d'avoir cette idée que tu aurais très bien pu finir dans le ventre d'un ours.
- Et c'est peut-être ça qui est si drôle ! Tu trouves normal de rire quand un camarade a été tué et dévoré par un ours ? C'est peut-être l'usage ici de rire des malheurs d'un camarade, de se moquer d'un camarade qui a été tué et déchiqueté par les bêtes sauvages ?
Sam posa ses lunettes sur son nez et fit un clin d'oeil à Louis.
- Non, non, ce n'est pas du tout pour ça qu'on rit. Mais l'idée m'a traversé que tu devrais peut-être commencer à écrire un livre de recettes pour ours. Comment aurais-tu appelé un plat, dont tu étais toi-même l'ingrédient principal ?
Louis réfléchit longuement. Il ferma les yeux et baissa la tête. Puis il répondit avec émotion :
- Les Délices de l'Ours Blanc.
Lorsque Ulaluk était tombée dans l'escalier de la boutique et s'était casse le col du fémur, on en mourut pratiquement de rire. On n'arrivait presque pas à ramasser la vieille femme, tant on riait. Complètement recroquevillés de rire, les chasseurs la portèrent jusqu'à la maison de M. Pickerin, où elle fut mise au lit. Ulaluk elle même était celle qui riait le plus fort.
Les Hommes se sont mis à adorer le bon et ils en oublient d'amadouer le mal.
- C'est un garçon ?
- Pas vraiment. En bas, il est un peu raté.
En automne, quand le soleil est bas, il règne en Arctique une lumière qui n'est ni tout à fait rose, ni tout à fait violette, mais d'une délicatesse et d'une pâleur évoquant la couleur chair. Les hommes expérimentés appellent cela rouge-bordel.
Jeobald avait dit un jour que cette lumière s'approchait du divin, si on avait la chance de la voir éclairer la peau d'une belle jeune fille du Sénégal, ou éventuellement du pays bantou. Il n'y a aucune raison de douter de la parole de Jeobald. Il a beaucoup voyagé et en sait long sur bien des choses. Cependant, les belles jeunes filles des pays mentionnés étant extrêmement rares dans les pays polaires, aucun des hommes n'avait encore eu l'occasion de contempler la lumière divine.
On devient vieux, répondit Ivitaq, et on devient encombrant. Alors il est sage de s'asseoir sur la glace et d'attendre ce qui doit arriver. On a peut être vécu plus longtemps qu'on ne le méritait, et on est soi même mieux placé pour connaître son temps.