Dans le cadre de l'opération Mass Critique 2012, j'ai enfin pris le temps d'ouvrir un livre de Jørn Riel que j'avais envie de découvrir depuis un petit moment déjà.
Je l'aime bien, ce petit o barré. Ça sent le blizzard du Nord à plein nez, ça sent la poudreuse et l'air frais qui fait mal aux poumons quand on inspire trop fort. Bon, en soi, le Danemark – où est né l'auteur en 1931 – n'est pas si éloigné de la France. Mais l'univers qu'il évoque est bien loin de de nos contrées qui semblent soudain bien mornes et urbanisées. Encore plus quand on pense à ces seize ans passés au Groenland que nous raconte Jørn Riel dans ce dernier recueil d'histoires.
Pantalon de fourrure, chiens de traîneau et fusil de chasse : à peine ai-je vu la couverture que je repense à ce bon vieux Nanook qui chassait au fin fond de sa banquise, il y a presque un siècle ( Vous savez, celui-là : http://www.youtube.com/watch?v=cLERFRQl5EY ).
Ici, seules les illustrations d'
Hervé Tanquerelle parsemées dans l'ouvrage sont en noir et blanc. Pour le reste, c'est le bleu limpide du ciel dégagé, les tons boisés des quelques habitations, la transparence du schnaps et le blanc sale des ours polaires.
« Quand on a passé trente-huit ans en expédition, on a forcément vécu des expériences différentes de celles d'un homme resté tranquillement chez lui. Et il arrive, en compagnie de quelques bons amis, que je me laisse aller à raconter une histoire, et bien entendu, je m'efforce de la raconter telle quelle, sans rien ajouter ni enlever. Enfin, dans les grandes lignes. »
Ainsi commence l'un de ces racontars arctiques. le ton est donné, et c'est sûrement le meilleur qui pouvait être choisi : on ne sait jamais trop ce qui tient du vrai, de la légende, du récit autobiographique, mais peu importe, on y croit. de toute façon, il a une bonne tête ce Jørn Riel, sur les photos : le regard rieur, un sourire espiègle qui lui donne un air éternellement jeune malgré ses cheveux blancs. Quand on lit un de ses livres, on a l'impression d'être blotti dans un sac de couchage et d'échanger des histoires chuchotées à la lueur d'une lampe torche, avec des rires étouffés par le vent qui souffle au dehors. Ou bien, accoudé à un comptoir du fin fond de la Scandinavie, on écoute un conteur improvisé évoquer des souvenirs de voyage, un verre à la main.
C'est là tout le plaisir que procure un livre écrit par Jørn Riel. Plongé au coeur de la nuit polaire, le lecteur n'a plus que se laisser dépayser, embarquant sur les petits traîneaux à chiens des tout derniers trappeurs du Groenland. Même la solitude en plein hiver arctique prend des couleurs boréales, quand elle est décrite par l'auteur avec cet humour qui le caractérise. Les situations les plus rocambolesques sont croquées là, le grand froid semblant être générateur d'idées folles : c'est qu'il faut passer le temps, « dans une dimension où [il] n'existe plus ». On imagine la chasse, les chiens, les cils gelés et les communications radio. le schnaps, le craquement des pas dans la neige et l'immensité, partout le blanc, et parfois la tempête. L'auteur raconte cette vie qui s'organise entre hommes, uniquement entre hommes, et les femmes dont l'absence se fait sentir.
le récit de voyage, fait avec simplicité, contribue au mythe du « héros polaire ». C'est de la chaleur humaine qui dégèle un peu les longs hivers.
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