Citations sur Les Sept Soeurs, tome 3 : La Soeur de l'ombre (170)
Il faisait beau et en sortant de Hawkshead, elle décida d'emprunter le chemin le plus long autour du lac d'Esthwaite Water, en passant par le village de Near Sawrey, afin de voir le début de la floraison des jonquilles et des crocus sauvages. Même l'air paraissait plus léger et la brève bourrasque de neige du matin avait à peine embrassé la terre avant de fondre.
La jeune fille s'était réjouie intérieurement d'échapper ainsi à ce cirque qui consistait à se pomponner, se parfumer et s'habiller comme une poupée pour toute la durée de la saison en ville. Elle frémissait à l'idée d'être entourée de filles gloussant comme des imbéciles, trop sottes pour comprendre que le principe de cet événement s'apparentait à une vulgaire foire aux bestiaux, où la génisse la plus jolie revenait au mâle le plus offrant..
Quand elle s'y installa, les premiers rayons illuminèrent le ciel bleu délavé. Une alouette volait en parfaite synchronisation avec son reflet sur l'eau - une silhouette argentée de l'oiseau. Flora soupira d'aise et respira à pleins poumons. Le printemps était enfin arrivé.
Je fermai les yeux et fis apparaître l'image d'un jardin inondé de roses, de magnolias et de camélias, les lignes droites de haies parfaitement taillées cédant la place à des céanothes bleus et poudrés...chaque coin et recoin rempli de vie, d'une vie splendide et abondante...
Les fenêtres irrégulières étaient entourées de lierre et de glycine et des cheminées hautes et étroites, caractéristiques de l'architecture Tudor, s'élevaient dans le ciel de septembre. A voir l'extérieur, je m'imaginais une demeure truffée de coins et de recoins, plutôt qu'une succession de pièces vastes et grandioses - l'édifice n'avait rien de majestueux; on aurait plutôt dit qu'il avait vieilli tranquillement, s'intégrant peu à peu à la campagne environnante. Il évoquait une époque révolue, une époque dont je raffolais dans mes lectures, et je ressentis une pointe d'envie.
Je la suivis dans un hall où trônait un large escalier Tudor qui, d'après sa rampe merveilleusement sculptée, était authentique. Nous empruntâmes un vieux couloir aux dalles irrégulières et je m'imprégnai de l'atmosphère, parfumée de poussière et de fumée, imaginant des milliers de feux qui avaient été allumés au fil des siècles pour chauffer les occupants de la demeure.
J'étais allée une fois dans le Kent lors d'un voyage universitaire, pour visiter Sissinghurst, le château et les somptueux jardins où avait habité la poétesse et romancière Vita Sackville-West. Je m'en souvenais comme d'un comté tranquille et verdoyant - le "jardin de l'Angleterre", comme on le surnommait.
- Virginia Woolf, répondis-je. L'histoire s'inspire de la vie de Vita Sackville-West et de sa liaison avec Violet Trefusis. Quant à Orlando the Marmalade Cat, c'est une série de livres pour enfants de Kathleen Hale. Une de ses meilleures amies, l'artiste-peintre Vanessa Bell, était la soeur de Virginia Woolf et avait elle-aussi eu une liaison avec Vita Sackville-West. Mais vous savez sans doute tout ça..
Comme écrivait Cicéron : "Une pièce sans livres, c'est comme un corps sans âme."
Tandis que j'accélérais le pas pour rattraper CeCe, je me rendis compte que c'était l'amour qui avait eu raison de sa force.
Et à cet instant, je me promis que moi aussi, un jour, j'expérimenterais la joie et la douleur de son intensité.