L’homme a deux naissances. L’une quand il vient au monde, l’autre quand il meurt... Il meurt mais il reste vivant dans les autres, s’il a été loyal envers son prochain. Et, si au cours de sa vie, il sait s’oublier lui-même, la terre mange son corps mais pas son souvenir...
L’eau palpite dans le bas ventre de la colline, dans la fourche des deux chemins qui conduisent au champ de bataille. Dans la pénombre de l’aube, elle ressemble à une vulve d’une infinie douceur, qu’ourle le duvet de végétation aquatique en fermentation sous les larges taches de moisissures, d’une odeur que l’on dirait sexuelle.
Oui, c'est cela la vie, si loin qu'on regarde le passé, l'avenir, ou même le présent aveugle. Une flamme têtue qui brûle dans les os, cette nécessité d'aller un peu plus loin qu'il n'est possible, de résister jusqu'à la fin, de franchir une ligne, une limite, de durer encore, au-delà de tout désespoir et de toute résignation.
J'étais tout petit alors. Mon témoignage n'est qu'à moitié fiable. Et aujourd'hui, en rédigeant ces souvenirs, je sens bien qu'à l'innocence et aux étonnements de mon enfance viennent se mêler mes trahisons et mes manquements d'homme , les morts répétées de ma vie. Je fais peut-être davantage que revivre ces souvenirs : je les expie.
Les mots tristes n'existent pas, en guarani : ils sortent comme s'ils venaient d'être inventés, sans avoir le temps de vieillir. Pour dire "le sommeil sera long", elle avait dit : "Jho'ata che'ari keranà pukù...", ce qui suggérait un sommeil à poings fermés, plein d'une douceur infinie, d'images joyeuses, avec une mouche qui chatouille le nez du dormeur.
Ah vieillesse, maladie des ans... la seule maladie inguérissable...