Quand ils eurent déjeuné, Bénin réclama la note.
— C’est facile à compter. Vous avez d’abord la chambre, à cinquante centimes par personne…
Les copains échangèrent un regard évangélique, et considèrent l’hôtesse avec affection.
— Ça fait un franc… Puis les deux guignolets à soixante centimes chaque, ce qui nous fait un franc vingt, plus un franc, deux francs vingt…
Les copains échangèrent un deuxième regard qui voulait dire : « Le guignolet est un peu cher. Mais ça doit tenir au climat, et nous aurions tort de nous plaindre. »
— Puis deux cafés au lait à un franc chaque, ce qui nous fait deux francs. Deux francs et deux francs vingt, ça nous fait quatre francs vingt.
Bénin se hâta de tendre une pièce de cinq francs, et il ouvrait la main pour recueillir la monnaie.
— Ça fait juste le compte : trente centimes pour l’éclairage… quatre francs vingt et trente quatre francs cinquante… et cinquante centimes pour les deux bicyclettes… Vous ne laissez pas un petit pourboire ?…
— Mais… je n’ai pas vu de bonne… vous êtes bien la patronne ?
— Oui ! Faut vous dire, ma bonne est à la noce d’un de ses cousins ; mais elle rentrera demain… ça lui aurait sûrement fait plaisir…
Vercingétorix avait une pose simple, mais belle : la main gauche sur la cuisse, la main droite tenant les rênes de son cheval.
Vercingétorix était nu. Il avait pour tout équipage un bouclier, pendu à son dos; une sorte de sac, de musette gonflée, sur le flanc gauche; et des brodequins.
Vercingétorix avait une tête martiale, certes, mais singulièrement poilue; sa barbe lui remontait jusque sous les yeux, lui inondait les joues, et confluait avec une épaisse tignasse.
Il avait le corps poilu comme la tête; la toison longeait le sillon de la poitrine, s'épandait sur le ventre, et foisonnait plus bas. Cheveux et poils, d'ailleurs, parfaitement imités.
Son sexe, bien étalé sur l'échine du cheval, frappait à la fois par sa grosseur et par son naturel. Les dames, et plus d'une jeune fille, n'en finissaient pas de l'admirer.
Il ne voulait aucun salaire, l'honneur lui suffisait.
Les copains, qui étaient sept, firent un silence sept fois multiplié par lui même, autrement dit un des plus grands silence qu'il y ait jamais eu.
Rassuré, il chercha un compartiment. Il voulait être seul, pour que son enthousiasme pût se dilater à l'aise, sans se friper sur de la chair humaine. Tous les compartiments qu'il inspecta étaient vides, ce qui compliquait les choses, car il n'y avait plus de raison de choisir. Mais la sagesse des voyageurs conseille le milieu des trains, qui est l'endroit le moins exposé aux risques des tamponnements comme aux rudesses de la traction.
Depuis 19 siècles que la science des docteurs s'applique à pénétrer les divins préceptes, ils nous sont devenus familiers par la lettre, sans que nous soyons endroit de dire qu'ils ne nous demeurent pas étrangers par l'esprit.
Je suis redescendu pour que vous montiez. Je me tais pour que vous parliez.
On se regarda. On flairait que l'insulte était grave ; mais personne n'en mesurait exactement la portée. Quelqu'un murmura, pour le principe.
« Ah, Vercingétorix! Il me semble que j’entends ta voix rude. Tu nous dis: « Enfants d’Auvergne, avec ma sueur, avec mon sang, j’ai cimenté les bases de la démocratie. J’ai... ». Alors il se produisit quelque chose de si effrayant, de si miraculeux, de si impossible que chacun douta de sa raison et pâlit. La statue ouvrit la bouche. La statue cria: - C’est pas vrai! Elle se tut, puis cria encore: - J’ai jamais parlé de ça! Et d’abord je te défends de me tutoyer! C’est pas devant moi qu’il faut sortir tes boniments! Vieille lope! Tu vas me faire rendre ma nourriture! Fous le camp que je te dis! Fous le camp !
Que Broudier ait dicté ces vertueux alexandrins, n'en doutons pas. Mais Broudier, pour classique qu'il soit, n'est que le Boileau des fumistes.