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Critique de HordeDuContrevent


Quelles sont vos troublantes racines, à vous ? Celles que vous ressentez confusément, très intimement, indépendamment de votre lieu de naissance, celles que vous choisissez, attirés irrésistiblement par un territoire, un peuple, une culture…un entrelacement de racines ataviques et de racines culturelles, frémissantes de vie, d'évidence, de désir et d'attraction difficilement explicables, des attaches indicibles ne correspondant pas toujours au lieu où nous sommes nés. Francine Romero, dont les troublantes racines sont africaines, nous l'explique dans ce beau récit autobiographique.

Qu'il est délicat de faire une « critique » sur un livre dont l'auteure est une amie ici sur Babélio. Même lire le livre n'a pas été si aisé, j'avais peur de ne pas aimer, un peu gênée aussi de découvrir cette autobiographie dans laquelle cette amie littéraire se dévoile. J'ai procrastiné, un peu, avant de me lancer. Et j'ai beaucoup aimé. Voilà un récit tout bonnement fascinant et je comprends à présent tellement mieux la passion de Francine pour l'Afrique, au point d'ailleurs d'avoir choisi pour pseudo @Afriqueah. J'ai tellement aimé que la fin m'a laissée sur ma faim : pourquoi pas une troisième partie sur les centres culturels de Niamey et Zinder ? Hein, pourquoi Francine ?
Il faut dire que je me suis régalée de ces deux parties, deux immersions de l'auteure en terres africaines, plusieurs chapitres dans chacune des parties démarrant par une citation bien choisie en lien avec le propos du chapitre, suivies, dans le corps du texte, par des allusions littéraires nombreuses qui viennent compléter élégamment l'expérience et les ressentis de l'auteure. C'est à la fois du vécu (et nous apprenons plein de choses dont le fameux « Poulet bicyclette ») mais aussi érudit, un récit joliment équilibré.

Deux parties donc, pour deux cultures africaines. Celle du Gabon d'une part durant les années 1972 et 1973, celle de Guinée équatoriale d'autre part de 1989 à 1994. Deux parties pour deux façons bien différentes d'approcher l'Afrique. La première en tant qu'épouse d'un Gabonais, la deuxième en tant qu'expatriée à un poste dans deux Centres culturels. A l'Afrique intime et quasi anthropologique de la première partie succède l'Afrique foutraque et humaine, bassement mais aussi joliment humaine de la seconde partie. Deux tons. Deux types de racines. Racines ataviques, racines culturelles. de troublantes racines dans tous les cas pour cette femme indépendante, libre, érudite, courageuse !

Racines ataviques, ancestrales, innées, celles des origines, berceau de l'humanité, dans une première partie. Des racines comme retrouvées aussitôt arrivée en terre africaine.
« L'évidence, lorsque nous arrivons, me tombe dessus, comme si tout ce que j'avais pensé jusque-là, toutes mes actions, tout ce que j'avais désiré sans le savoir, se trouvait magiquement sur un plateau de bois précieux. Dès les premières marches descendues depuis l'avion, le sentiment de retrouver un monde connu me gagne (…) Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari lui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre ».

Francine va vivre dans le village natal de son mari, au sein même de la famille de celui-ci, apprenant à se délester du superflu, à se soucier seulement du moment présent, à vivre simplement, à faire avec une flore et une faune flamboyante, au sein de la forêt équatoriale notamment, foisonnante et dangereuse. A faire avec et à la ressentir, au point de comprendre pourquoi cet univers, si profond, soit devenu le refuge des esprits. Nous sentons à quel point l'auteure observe mais surtout ressent l'Afrique, s'immerge corps et âme sans rester sur le rivage, sans être uniquement observatrice, elle est totalement unie à la nature et aux villageois par « le lien de l'humanité heureuse et souffrante, vivant en vérité, ne demandant rien d'autres que ce qu'ils ont », au point de se sentir noire dans ce village gabonais. Elle fait preuve d'humilité, de respect, ne juge jamais, admire ces personnes, notamment les femmes rencontrées avec lesquelles se développe une touchante sororité. Elle se fond dans cette vie dans ce qu'elle a de plus précaire et de plus simple. J'ai trouvé cette partie particulièrement apaisante dans son dépaysement, belle dans sa frugalité, touchante dans l'immensité ressentie, ce « sentiment océanique » évoqué qui fait qu'au-delà de notre statut d'humain nous nous fondons pour faire partie d'un tout. Cet aspect est très bien rendu.

« J'écris pour raconter ces mois passés, le bonheur de me réveiller sur ma natte, dans une hutte construite avec des piliers de bois et un lacis de feuilles de palmiers tressés, entre eux, le bonheur d'être là tout simplement. Bonheur simple, marcher sur le sable roux, parler avec mes belles-soeurs, qui, elles, bavent sur la France, bonheur paisible et monotone aussi du travail des champs, conclu par un somptueux coucher de soleil aussi rapide que multicolore ».

Malgré cette racine atavique ressentie avec évidence, force est de constater qu'elle n'est pas totalement des leurs, comme le prouveront sa mise à l'écart lors de la cérémonie mortuaire de la petite Anina, source d'un magnifique chapitre sur les différences de perception de la mort entre les deux cultures, un chapitre qui m'a interpellée et émue, ainsi que le retour en France où le décalage culturel avec son mari posera problème.
« Ces mois passés au Gabon m'ont à la fois réunie dans la simplicité des actes de tous les jours, donné le sentiment d'appartenir à cet univers, et insidieusement fait mesurer une différence indéniable ».

Racines construites dans la seconde partie, choisies, davantage culturelles, comme ancrages sur un territoire pour mener à bien une mission. Une source d'ouverture et de compréhension au monde, un défi dans un pays dictatorial dangereux, une volonté de retrouver ce territoire tant aimé. Francine pourrait faire sienne cette splendide citation de Karen Blixen qui ouvre un des chapitres :
« La rencontre que j'ai faite en Afrique d'une race essentiellement différente de la mienne a contribué puissamment à l'heureuse expansion de mon univers. La tendresse est née entre nous au premier regard ».

A la simplicité presque naïve (au sens pur) de la première partie, l'auteure oppose la compréhension du dessous des cartes de la gouvernance africaine. La corruption des classes dirigeantes, celle des fonctionnaires, l'exploitation du pays par d'autres pays et par des multinationales, mais aussi les abus de certains expatriés sont narrés parfois avec virulence et même une véritable colère. Cette Afrique des blancs qui engendre des attitudes méprisables. Mention spéciale à un des directeurs du Centre qu'elle rhabille pour l'hiver, ces quelques lignes sur le monsieur sont un truculent et savoureux exutoire.

« Un des directeurs du Centre est un pourri, un gros bouffi affreux qui présente un ventre saillant à travers les pans de sa chemise prête à péter les boutonnières, semblable à s'y méprendre à un des personnages (figure récurrente de certains blancs) de Mongo Beti dans Trop de soleil tue l'amour ou de Gil Courtemanche dans Un dimanche à la piscine à Kigali. Il a inventé un système imparable et que moi comptable, qui pourtant l'ai à l'oeil, ne peut contrecarrer »…

Tout au long du livre, nous apprenons une foultitude de choses sur les maladies, la mort, la sorcellerie, les mets culinaires, l'hygiène, l'histoire coloniale des deux pays, la politique, les différentes tribus, les us et coutumes…C'est érudit sans jamais être pédant, c'est beau sans jamais tomber dans le pathos. D'ailleurs, il y a une pudeur telle dans ce récit que le drame est juste évoqué, glissant, l'air de rien, au détour d'une phrase, sans s'étaler, alors que nous devinons combien ce malheur a dû être profond, que le bonheur notamment conjugal est simplement relaté. Pudeur donc, humanité, sincérité, authenticité, ouverture d'esprit et esprit critique, grande liberté, ainsi sont serties les racines africaines de Francine qui m'ont joliment troublée. Merci à toi Francine et, très sincèrement, bravo !

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