Il déclare quelque part que l'écriture est le seul moyen qu'il ait réussi à imaginer jusque-là pour se débarrasser de ses pensées.
Car c'est précisément la plus grande force de la joie que de savoir triompher de la pire des peines.
Ainsi, quand nous cherchons nos propres idées, nous ne faisons réellement que chercher les mots qui les expriment, puisque l'idée ne se montre à l'esprit que lorsque le mot est trouvé, et même les mots dont on se sert pour exprimer la correspondance des mots aux idées, rendre, exprimer, représenter, signifient tout seuls que le mot nous rend l'idée que nous cherchons, et qui serait perdue sans l'expression qui la représente oula rend présente à l'esprit.
C'est pourquoi nous avons souvent l'illusion d'être à la recherche d'une idée alors que nous sommes en réalité à la recherche d'un mot.
Sans le mot qui seul compte dans l'expression d'une pensée, la pensée en question n'est qu'un pur fantôme en attente de corps. Là où les mots manquent pour le dire, manque aussi la pensée.
De même la qualité d'un texte dépend-il moins de l'intelligence de celui qui se dispose à écrire que des décisions heureuses prises, ligne après ligne, au moment ou s'écrit le texte.
J'en reviens donc au choix des mots expression par laquelle je désigne ici à la fois la décision d'écrire et l'élection des vocables, des phrases, censés manifester cette pensée alors qu'en réalité ils la constituent de toutes pièces.
Ce qui se conçoit est ce qui s'énonce. Concevoir et énoncer sont une seule et même chose.
Que penseriez-vous de l'objection qui consisterait à dire à Manet qu'il peint si merveilleusement que c'est une peine bien inutile qu'il a prise de démontrer son talent par ses peintures ?
Je veux dire que c'est précisément l'écriture, et elle seule, qui me permet, à moi comme à tout le monde, d'établir une pensée.