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Critique de oblo


oblo
06 février 2020
Que reproche-t-on à ce bon Alexander Portnoy ? D'être un mâle viril qui use et abuse de son corps en performances sexuelles nombreuses ? de ne pas être un bon fils de famille, au sens où il n'est ni un père aimant ni un mari dévoué et fidèle ? Publié sous la forme d'une longue introspection psychanalytique, le roman de Philip Roth évoque le parcours d'un homme dont l'éducation juive et la société américaine rejettent les aspirations intérieures profondes.

La vie d'Alexander Portnoy est traversée par trois personnages principaux : sa mère, Sophie Portnoy ; sa compagne, Mary Jane Reed, surnommée le Singe à cause d'une anecdote sexuelle ; son propre sexe, qui gouverne littéralement sa vie. Avec sa mère, le petit Portnoy a les rapport qu'entretient un petit garçon, puis un adolescent, enfin un jeune adulte avec son ascendance : profonde attirance, émerveillement devant les capacités hors-normes de ladite mère, puis affranchissement et honte, enfin tendresse et distance face à cette mère qui pense toujours à son fils comme à son bébé. L'éducation, naturellement, ne repose pas que sur la mère. le père, représentant en assurance, mène une carrière difficile dans des quartiers qui ne le sont pas moins. Ces parents, qui vouent à leur fils une adoration due à sa beauté et à son intelligence, se désespèrent aussi de ses moindres écarts avec la bonne conduite à tenir et ne cessent de lui rappeler ce qu'il convient de faire. Cette éducation marque durablement Portnoy, dont la frénésie sexuelle s'accorde mal avec les préceptes d'une éducation juive plutôt rigoureuse.

Le Singe, ou plutôt Mary Jane Reed, représente pour Portnoy un dilemme social. En effet, cette jeune femme est capable de prouesses sexuelles qui contentent largement Portnoy. Mais cette immoralité propre à l'exciter, conjuguée à un niveau intellectuel jugé largement insuffisant par celui qui travaille dans l'équipe du maire de New York, ne peut déboucher sur un amour véritable et, donc, sur le mariage tant désiré par la société américaine et par ses parents. C'est d'ailleurs ce goût immodéré pour le sexe féminin qui empêche Alex D envisager sérieusement de se marier, et donc de ne plus connaître qu'une seule femme pour le reste de sa vie.

Sa verge, donc, dicte le sens de sa vie à Alex Portnoy. Une verge qu'il a découverte, adolescent, toujours gonflée, raide, insatiable, et qu'il tâchait de contenter matin, midi et soir, dans sa chambre, dans sa salle de bain, au milieu des culottes de sa soeur aînée, dans le bus scolaire à côté d'une camarade endormie. Entre ce moi profond, représenté par une verge vaillante et très souvent mise à contribution, et l'éducation stricte donnée par ces parents au fin fonds du New Jersey, Portnoy est tiraillé. Tout s'emmêle dans son esprit, et l'écriture de Philip Roth rend bien cette imbrication intime (en passant d'une anecdote à une autre d'un simple retour à la ligne) entre les aspirations d'un individu - aussi triviales soient-elles - et celles qui lui ont été inspirées par sa famille, son milieu social et la société dans laquelle il vit. Car Alexander Portnoy n'est pas qu'un jeune élève brillant et un haut fonctionnaire de la ville de New York, il est aussi juif, et cela est une problématique de plus à prendre en compte dans l'établissement de cette identité décidément déstabilisée. En effet, Alex semble n'aimer que des shikses, des femmes non-juives lorsque son destin devrait le détourner des goyim même si, le quartier de Weequahic dans lequel vivent les Portnoy pourrait le jurer, il n'y a pas plus Américains qu'eux.

Voilà donc un homme qui semble avoir coché toutes les cases de l'ascension sociale et d'une vie réussie, et qui pourtant, à cause de son désir sexuel, est encore célibataire à 33 ans, se démenant entre des parties de jambes en l'air avec le Singe, des expériences plus ou moins perverses avec des prostituées à Rome, d'autres expériences lamentables avec une jeune juive d'un kibboutz israélien et des séances de masturbation frénétiques. Tragédie peut-être, mais relatée avec un humour féroce. Cette férocité n'est finalement que la réponse d'un homme qui, tout en acceptant partiellement les codes d'une société et d'une éducation donnée, ne peut y répondre entièrement sans se nier tout à fait lui-même. L'homme noyé dans le groupe n'est plus lui-même. Ainsi peut-on voir l'épisode, presque final, de la tentative désespérée d'Alex Portnoy de demander en mariage la jeune juive du kibboutz. En Israël, Alex est un juif parmi d'autre, l'équivalent d'un WASP, comme il le dit lui-même. La jeune femme, ressemblant physiquement à sa mère, semble surpasser moralement Alex. Dernier secours, la psychanalyse est une confession et l'aveu que fait un homme d'être au pied du mur. Central par sa position sociale, marginal par ses attitudes amoureuses, Portnoy est à la fois fier et misérable, vivant sinon libre.
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