Douze ans séparent la narratrice de sa grande soeur. Celle-ci vient de mourir des suites d'une leucémie et sa cadette lui écrit un tombeau, au sens littéraire du terme, mêlant les souvenirs d'une sororité assez distante, tant temporelle que géographique, complexe, mais pour elle essentielle. Sa soeur, on la découvre par petits morceaux de souffrances et d'échecs. Anorexique, boulimique, elle a quitté la maison de la mère pour mener des études scientifiques poussées mais qui l'ont finalement frustrée, ne menant qu'à une vie de famille dans la banlieue de Londres, un pavillon, un enfant, un mari, le divorce et la maladie qui lui a rongé les muscles jusqu'aux os.
La narratrice semble avoir suivi un autre chemin, sexe précoce, drogues, conflits avec la mère, puis, elle même devenue mère célibataire, elle est revenue dans la maison de l'enfance partagée, au milieu de bois et de champs, au bout d'un patelin qui se meurt doucement, entre cultures de maïs et route à deux voies.
Les deux soeurs n'ont pas eu le même père mais ont en commun leur absence et la prédominance des figures féminines, la mère, problématique, conflictuelle, un peu hippie, et la grand mère, qui se venge sur le point de croix d'un mariage vénéneux … Toutes ces femmes sont montrées comme des victimes, plombées par leur corps, par la sexualité imposée, la maternité gérée par les hommes, la médecine, les grossesses désirées ou pas, les avortements clandestins, puis autorisés mais non moins violents.
Le texte se veut donc intime, très intime, et je l'avoue trop pour moi. Je n'ai rien contre un bon gros coup de poing dans le patriarcat, avec ruades et colère dressée contre les murs, mais ici, tout passe par le corps, et je ne suis pas convaincue qu'être femme se réduise à avoir un corps de femme ni que la maternité voulue ou imposée soit le seul prisme par lequel il doive être évoqué. Je ne dis pas que ce n'est pas un angle de vue intéressant, juste que moi, je préfère quand l'approche est plus globale, qu'elle met en jeu du social et du politique. L'intime comme porte étendard, pourquoi pas, mais ce cadrage m'a paru réducteur, non par sa radicalité, mais parce que sortir les tripes, même dans une langue poétique, il me semble que cela détourne de la sphère politique. Et donc, de l'essentiel.
Ce tombeau à un corps détruit, en écho à une nature en perdition, est très beau, mais mortifère. Reste en point de mire plus lumineux, l'enthousiasme de la narratrice pour sa petite fille, » invitée d'honneur d'un monde où le printemps ne s'arrête jamais » … La petite descendante de tant de femmes opprimées, semble elle, promise à échapper à tant de déterminisme … Tant mieux pour elle …
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