Délivré de toutes les passions terrestres qu’engendre le tumulte de la vie sociale, mon âme s’élancerait fréquemment au-dessus de cet atmosphère, et commercerait d’avance avec les intelligences célestes dont elle espère aller augmenter le nombre dans peu de temps. Les hommes se garderont, je le sais [,] de me rendre un si doux asile où ils n’ont pas voulu me laisser. Mais ils ne m’empêcheront pas du moins de m’y transporter chaque jour sur les ailes de l’imagination, et d’y goûter durant quelques heures le même plaisir que si je l’habitais encor. Ce que j’y ferais de plus doux serait d’y rêver à mon aise. En rêvant que j’y suis ne fais-je pas la même chose ? Je fais même plus ; à l’attrait d’une rêverie abstraite et monotone je joins des images charmantes qui la vivifient. Leurs objets échappaient souvent à mes sens dans mes extases, et maintenant plus ma rêverie est profonde plus elle me les peint vivement. Je suis souvent plus au milieu d’eux et plus agréablement que quand j’y étais réellement. Le malheur est qu’à mesure que l’imagination s’attiédit cela vient avec plus de peine et ne dure pas si longtemps. Hélas, c’est quand on commence à quitter sa dépouille qu’on en est le plus offusqué !
Fin de la cinquième promenade
Combien de fois, dans ces moments de doute et d’incertitude, je fus prêt à m’abandonner au désespoir !
Il n'y a pas de jour où je ne me rappelle avec joie et attendrissement cet unique et court temps de ma vie où je fus moi pleinement, sans mélange et sans obstacle, et où je puis véritablement dire avoir vécu.
" Les maux réels ont sur moi peu de prise ; je prends aisément mon parti sur
ceux que j’éprouve, mais non pas sur ceux que je crains. Mon imagination effarouchée les combine, les retourne, les étend et les augmente. Leur attente me tourmente cent fois plus que leur présence, et la menace m’est plus terrible que le coup."
Dans le petit nombre de livres que je lis quelquefois encore ,Plutarque est celui qui m' attache et me profite le plus . Ce fut la première lecture de mon enfance , ce sera la dernière de ma vieillesse ; c' est presque le seul auteur que je n' ai jamais lu sans en tirer quelque fruit .
« C’est en vain que l’on cherche au loin son bonheur quand on néglige de le cultiver en soi- même » .
Dans tous les maux qui nous arrivent, nous regardons plus à l'intention qu'à l'effet. Une tuile qui tombe d'un toit peut nous blesser davantage mais ne nous navre pas tant qu'une pierre lancée à dessein par une main malveillante.
L'habitude de rentrer en moi-même me fit perdre le sentiment et presque le souvenir de mes maux, j'appris ainsi par ma propre expérience que la source du vrai bonheur est en nous, et qu'il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouoir être heureux
Tout est fini pour moi sur la terre : on ne peut plus m 'y faire ni bien ni mal .Il ne reste plus à espérer ni à craindre en ce monde .ni prochain .et m 'y voilà tranquille au fond de l 'abîme .pauvre mortel infortuné . mais impassible comme Dieu même .
Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire ce que la nature a voulu.