La physique du XIXème et du XXème siècle a découvert quelque chose de bien plus inattendu et déconcertant que le fait, somme toute marginal, que le temps s'écoule à des vitesses différentes à des endroits différents: la différence entre passé et futur - entre cause et effet, entre mémoire et espoir, entre remords et intention - n'existe pas dans les lois élémentaires qui décrivent les mécanismes du monde.
Nous comprenons le monde en étudiant le changement, pas en étudiant les choses.
Il suffit de quelques microgrammes de LSD pour que notre expérience du temps se dilate de façon épique et magique. "Combien de temps est toujours?" demande Alice; "Parfois seulement une seconde ", répond le lapin blanc. Il y a des rêves qui durent quelques instants où tout semble se figer pour une éternité.
Parce que le temps n'est autre qu'une fragile structure du monde, une fluctuation éphémère dans le devenir du monde, qui a la caractéristique de donner origine à ce que nous sommes : des êtres faits de temps. Qui nous fait être, qui nous offre le don précieux de notre existence même, qui nous permet de créer cette illusion fugace de permanence à l'origine de toute notre souffrance.
Je crois que c'est ce temps thermique - et quantique - qui est la variable que nous appelons « temps» dans notre univers réel, dans lequel une variable temps n'existe pas au niveau fondamental.
Le mystère du temps nous trouble depuis toujours, il réveille des émotions profondes. Si profondes qu'elles en nourrissent la philosophie et les religions.
La capacité à comprendre avant de voir est au cœur de la pensée scientifique.
La réalité des choses ne correspond pas toujours à leur apparence
Nous décrivons le monde tel qu'il se produit et non tel qu'il est.
On peut penser le monde comme constitué de choses. D'entités. De quelque chose qui est. Qui demeure.
Ou bien on peut penser le monde comme constitué d'événements. D'occurrences. De processus. De quelque chose qui se produit. Qui ne dure pas, qui se transforme continuellement. Qui ne persiste pas dans le temps.
La destruction de la notion de temps par la physique fondamentale implique l'écroulement de la première de ces deux conceptions, non de la seconde. C'est la réalisation de l'omniprésence de l'impermanence, et non de l'immuabilité dans un temps immobile.
Penser le monde comme un ensemble d'événements, de processus, est le mode qui nous permet de mieux le saisir, le comprendre, le décrire. C'est l'unique mode compatible avec la relativité. Le monde n'est pas un ensemble de choses, c'est un ensemble d'événements.
La différence entre les choses et les événements, c'est que les choses perdurent dans le temps. Les événements ont une durée limitée. Le prototype d'une chose est une pierre : nous pouvons nous demander où elle sera demain. Tandis qu'un baiser est un événement. Se demander où se trouvera le baiser demain n'a pas de sens. Le monde est fait de réseaux de baisers, pas de pierres.