En général, les livres de vulgarisation traitent de sujets tellement accessibles à la compréhension que cela peut sembler très accessoire à un esprit scientifique. Et, corollaire inévitable, inintéressant aux autres.
Alors quand un vrai scientifique s'attaque au champ le plus difficile de la physique moderne, j'ai nommé la physique quantique, le risque est grand.
Soyons honnêtes, si les sciences ne vous intéressent pas, ce livre n'est pas fait pour vous, vous n'y comprendrez pas grand chose (et ce n'est pas si grave).
Par contre, si vous évoluez professionnellement ou ludiquement dans un univers scientifique, alors ce livre est simplement génial. Il met à la portée du petit monde des physiciens insuffisamment au fait de la physique quantique une réflexion conceptuelle sur le sens à donner aux équations de cette physique si étonnante.
Il propose une alternative crédible aux "multivers" très à la mode mais franchement sans autre sens que celui des équations qui les rendent possibles. Il passe en revue les hypothèses induites par ces équations pour proposer une version bien plus élégante (et Dieu sait si l'élégance compte et physique).
Il nous propose donc ici, intelligiblement, de remettre en question la notion d'existence de la matière. Un atome n'existe que par la relation qu'il entretient avec les autres atomes qui l'entourent, il est illusoire de chercher à le définir en dehors de toute observation, de tout lien avec un observateur.
Mieux encore, il en tire une sorte de philosophie de la vie, qui tranche singulièrement avec le matérialisme occidental qui a gouverné jusqu'alors la recherche scientifique.
Il se place dans la lignée de
Ernst Mach qui synthétise les progrès réalisés par la science et conclut en son temps que la notion de « matière » est une hypothèse « métaphysique » injustifiée, qu'on doit se libérer de ce postulat et fonder la connaissance uniquement sur ce qui est « observable ».
Il retrouve ainsi ce que Heisenberg avait conçu sur l'île d'
Helgoland qui donne son titre à l'ouvrage, la réflexion qui a ouvert la voie à la théorie des quanta et l'histoire racontée dans ce livre.
Au fait, avez-vous lu Nāgārjuna ? C'est l'auteur d'un texte peu connu en occident, mais l'une des pierres angulaires de la philosophie indienne. Il a pour titre : Mūlamadhyamakakārikā (bonus +1 si vous le prononcez sans erreur).
La thèse centrale du livre de Nāgārjuna est simplement que rien ne possède une existence en soi, indépendante d'autre chose.
"Le terme technique utilisé par Nāgārjuna pour décrire l'absence d'existence indépendante est la « vacuité » (śūnyatā) : les choses sont « vides » dans le sens où elles n'ont pas de réalité autonome, elles existent grâce à, en fonction de, en relation avec, dans la perspective de quelque chose d'autre"
Carlo Rovelli fait le parallèle entre cette mystique et la mécanique quantique, et c'est très intéressant, j'irai même jusqu'à bouleversant.
Bref un ouvrage indispensable à tout scientifique moderne.