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Citations sur Quatre saisons à Mohawk (43)

Contemplant le restaurant bondé, souriant à tous ces inconnus à qui mon père allait manquer, disaient-ils, j'ai eu soudain très peur de ne plus y arriver sans lui. J'étais là, avec mes trente-cinq ans, assurant mon indépendance depuis mon entrée à l'université, et bientôt papa à mon tour. J'étais devenu, depuis les deux ans passés sous l'aile paternelle, sinon un modèle de réussite, du moins un modèle d'autonomie. Et pourtant, à cet instant précis, parmi ses amis et relations, une bière en main offerte en (son) honneur, j'ai essuyé l'une après l'autre des vagues de panique aussi puissantes que les douleurs de l'accouchement. Non que Sam Hall allait me manquer pour une raison particulière. Mais j'aurais été rassuré que son âme soit préservée, son essence maintenue dans un bocal quelque part sur une étagère, et qu'il continue d'être. Ce sont de telles craintes, pensais-je en finissant mon verre d'une traite, qui engendrent les religions.
Et les alcooliques.
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Evidemment, mon père l'avait mis à contribution, car Wussy savait arranger un toit, de la même façon qu'il savait réparer à peu près tout. Sauf erreur de ma part, il en savait même plus long que le pater, toujours d'avis pour ces choses que :"Ca peut pas être bien sorcier." C'avait dû être épatant de les voir s'initier à la sorcellerie, tiens. Le torse et les épaules nus, sans compter le goudron brûlant qui ajoutait à la chaleur. Je vois d'ici papa décidé à bâcler les tâches les plus délicates, et Wussy les yeux au ciel, s'efforçant de limiter les dégâts. D'éviter le pire par quelques plaisanteries bien placées. Pendant qu'on lui servait à tout va du "pauvre con de nègre" en guise de récompense. Toutes les demi-heures environ, Eileen sortait de chez elle et faisait quelques pas dans l'allée pour voir où ça en était, écouter leurs invectives. A quoi Wussy répondait qu'il aurait fini depuis une heure s'il n'avait pas eu quelqu'un pour l'aider.
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Wussy disparaissait sans cesse, parfois jusqu'à une demi-heure de suite. A mon avis, il n'était pas franchement à l'aise de partager cette dernière journée familiale. Ou peut-être pensait-il que nous avions des choses à nous dire, mon père et moi, avant mon départ. Cela ne devait pas être le cas, car nous n'avons parlé de rien, et nous étions l'un et l'autre soulagés quand il revenait. Je m'étais résigné à ce que le pater, invariablement, mette quelqu'un entre nous dès que nous étions censés passer du temps ensemble. Je n'avais pas trop cherché à comprendre, je n'en avais pas envie, mais j'ai toujours pressenti que nous avions peur. Avec de longues heures devant nous, et peu à faire, nous aurions été tentés de discuter. De lâcher des choses. D'évoquer hier, aujourd'hui, de se demander pourquoi, et pourquoi pas. Il incombait à Wussy de nous épargner ça.
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Le plus étonnant est que je m'en sois aperçu. Car je jure que, pas un seul instant, je n'avais détaché mes yeux de Tria Ward. J'en voulais sérieusement à mon père d'avoir osé poser un bras sur son épaule. Enfin, il ne voyait pas qu'elle était timide, gênée par ce rapprochement incongru avec un homme de son âge ? Qu'elle s'efforçait de ne pas céder à la panique, maintenant que son propre père s'était détachée d'elle ? J'étais indigné que le mien s'arroge le droit de toucher une personne si charmante, si proprette, toute fraîche comme son aimable géniteur.
Non, a-t-elle dit à mon père, elle n'était pas mariée.
"Ca, c'est bien, a-t-il répondu en lui pinçant l'épaule. Parce que je suis libre, moi, tu sais.
_ On l'a mise en garde contre les vieux cochons, a dit Ward, révélant d'un sourire deux rangées de dents impeccables.
_ Bon, attends. Je vais te présenter à quelqu'un de ton âge, alors. Il est pas aussi beau que son père, mais on peut pas tout avoir."
Brusquement, tout le monde me regardait et, évidemment, le juke-box s'est arrêté à ce moment-là...
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Mais pour Drew Littler, il suffisait pour être riche d'avoir une baie vitrée dans le salon ou une piscine dans le jardin. C'est lui qui m'a démontré la relativité fondamentale de toute fortune - les gens riches sont ceux qui ont deux dollars de plus que nous.
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Ma mère détestait les types qui traînaient devant ces lieux de perdition. Pourtant ils ne disaient pas de mal d'elle, même plutôt du bien, et on les entendait en traversant la rue. En définitive, leurs commentaires étaient les mêmes pour chacune des passantes.
L'une des anecdotes préférées de mon père concernait un de ces gars, dénommé Waxy, qu'on m'a présenté un après-midi au Mohawk Grill. Un connaisseur. Il avait choisi pour poste d'observation la porte de la salle des billards dans la partie sud de Main Street, avantageuse car elle lui permettait de garder un oeil dehors et un oeil dedans. "Mate-moi ça", a-t-il dit un soir à mon père, sur le point de sortir. Le pater a eu besoin d'une minute pour suivre le regard de Waxy jusqu'au feu du carrefour, et voir de qui il s'agissait. "C'est ta femme, Wax. T'es malade, ou quoi ?" Affreusement déçu, Waxy a hoché la tête : "Dommage, ça aurait pu donner quelque chose."
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J'avais dix ans, et j'avais découvert par hasard qu'une fille de deux ans mon aînée se déshabillait devant sa fenêtre, à dix heures trente le week-end. Elle devait être très fière de ses seins naissants, de leur croissance régulière, car elle les admirait chaque soir presque autant que moi, avant d'enfiler une chemise de nuit transparente. Je redoutais qu'un jour elle ne se rende compte que, par mégarde, elle ne fermait ses stores qu'aux deux tiers. Plus tard, à l'adolescence, je devais comprendre, ô fulgurante révélation, que cette adorable friponne avait pleinement conscience que, de l'autre côté de la rue, c'était bien mon haleine qui embuait ma fenêtre. Quand, à la rentrée suivante, elle a rempli ses cartons pour partir en Floride avec père et mère, ç'a été pour moi une perte dont j'ai rarement retrouvé la teneur. Bien sûr, à cette époque, l'intéressée était devenue plus avare de ses apparitions, mais ses seins bien plus dignes de mon admiration.
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A l'hôpital, ma mère me tenait contre son sein, et elle était sûrement jolie, très jolie même, comme la fille qui avait maté la concurrence avant guerre. "Eh ben?" a dit mon père, et elle m'a tourné vers lui. En apercevant ma petite queue, il a souri et dit : "Eh, v'là autre chose." Ca a dû être un grand moment de tendresse.
Et ça n'a rien changé du tout. Six mois plus tard, mon grand-père était mort. Papa s'est présenté le lendemain des obsèques, pas rasé et en retard, et maman lui a demandé le divorce. En quelques jours à peine elle avait perdu les deux hommes de sa vie.
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Mon père et Wussy étaient des hommes de Mohawk, c'est à dire que l'un et l'autre avaient un jour tourné le dos à une femme. Leurs compagnons étaient nombreux à en avoir abandonné plus d'une. La plupart se rendaient compte maintenant qu'ils avaient fait une connerie. Certains l'admettaient même au bout du énième verre. Il en était aussi, comme Skinny Donovan, qui avaient essayé de revenir, trente ans après, auprès d'une compagne qui, en fait, n'existait plus, qui était devenue acariâtre, ou lubrique, ou folle d'avoir élevé seule ses enfants, desséchée d'avoir couru d'un job au suivant.
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"La seule chose qui l'intéresse, ta mère, disait parfois mon père, c'est qu'on suive ses quatre volontés." Et j'ai compris que, armé de la même perversité, j'avais choisi de ne pas la satisfaire dans la mesure de mon possible. Depuis aussi longtemps que je pouvais me souvenir, je m'étais employé à la contrarier sournoisement, parce qu'elle profitait si mal de la vie, parce qu'elle demandait au plus un peu de fidélité et d'affection, parce qu'elle voulait qu'on fasse ça publiquement, parce que la galerie qu'elle cherchait à épater ne vivait que dans son imagination. Ce n'était pas grand chose à lâcher, pourtant.
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