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Citations sur Quatre saisons à Mohawk (43)

Je l'ai entendu avant de le voir. Il n'y avait qu'une douzaine d'hommes le long du comptoir enfumé, et quelques autres autour du billard dans un coin. Cette voix, ce timbre, ce grain pareil à nul autre ne semblaient pas tant venir du fond de la salle que sortir d'une antémémoire, baignée de liquide amniotique. Une fois de plus, mon coeur m'a fait un drôle de coup. Une fois localisé le bonhomme, assis sur le dernier tabouret du bar, je me suis arrêté pour l'observer. Il parlait à un jeune gars de mon âge. Il ne restait plus qu'un tabouret de libre et, comme il était à côté de lui, je m'y suis installé sans rien dire. Je l'ai bousculé un peu pour poser mon sac entre nous.
Alors il s'est retourné pour voir qui se permettait. Il avait les yeux rouges, le regard légèrement trouble, mais ça n'a duré qu'une seconde.
"Fils !"
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Je ne me ferais pas l'avocat du pari mutuel, pourtant son principe n'est pas dénué d'intérêt, loin de là. J'ai souvent pensé, et même maintenu devant de prétendus éducateurs, qu'il faudrait enseigner l'art du pari à l'université, au même titre que la composition écrite et la civilisation occidentale. Hormis la vie elle-même, rien n'est aussi complexe qu'une course de chevaux, et les innombrables facteurs à prendre en compte forment un excellent exercice intellectuel, à condition que le candidat veuille bien comprendre que, même s'il les maîtrise parfaitement, il n'en tirera aucune garantie de succès. Si avisés soient-ils, les parieurs ne courent pas à la place des chevaux (Untemeyer avait bien sûr raison), mais leur oeil entraîné les rend sensibles à des subtilités qui échappent au commun des mortels. Savoir peser, analyser un vaste ensemble d'informations, pour l'ensemble insignifiantes, et en tirer des conclusions intelligentes, même si elles sont fausses, est une haute forme d'art. Depuis mon intronisation au Mohawk Grill, j'ai rencontré de grands parieurs devant l'Eternel, et aucun n'a jamais confronté d'ayatollah en duel, ni jugé indispensable de se convertir à quoi que ce soit. Le parieur est un homme habité par une foi et une conviction inébranlables: il va y avoir une nouvelle course dans vingt minutes.
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Contrairement à beaucoup de soldats, mon père savait très bien ce qu'il voulait faire une fois la guerre finie. Il voulait boire, courir les filles et jouer aux courses. "Il s'en lassera", a prédit ma mère, et elle n'en doutait pas. Elle a quand même essayé de lui emboîter le pas pendant les quelques mois d'agitation furieuse qui ont suivi le retour des troupes, mais sans succès. Il faut dire qu'elle, on ne venait pas de lui tirer dessus pendant trois ans. Quand elle se réveillait le matin, ça ne l'étonnait pas d'être en vie. Ensuite, ça a été marrant un moment, les nuits blanches, les Martini-dry, les photos-finish au champ de courses mais, brusquement, enceinte de moi, elle a décidé que maintenant, la guerre était terminée. Pour la plupart, les gens autour d'elle se calmaient aussi. Les meilleures choses ont une fin, même quand c'est la victoire qu'on fête. Ca ne lui a pas effleuré l'esprit, je pense, que mon père ne fêtait rien. Ou plutôt si : la vie. La sienne.
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A ton âge un garçon a besoin d'être épaulé, m'a dit Rose. Un de ces quatre, tu vas te retrouver avec une copine enceinte, et qu'est-ce que tu feras, ce jour-là ?

J'ai eu envie de lui expliquer que c'était moins simple que ça. Elle n'était cependant pas la seule à redouter - mal à propos - les conséquences de l'excès de liberté dont, si l'on peut dire, je jouissais. Les clients du Grill voulaient toujours savoir si je culbutais une petite quelque part, et ils m'encourageaient fortement dans ce sens. " À ton âge, je baisais tous les soirs à condition de trouver une chambre" aimait à me répéter Skinny. J'avais du mal à l'imaginer à douze ans, et encore moins passer à l'acte.
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"Je n'ai pas fait beaucoup d'efforts pour te garder, hein ?" De fait, lorsque ma mère était entrée... pour annoncer ses intentions, il n'avait dit qu'une chose : "OK, prends-le."
Il a poursuivi : "C'est peut-être pas ce que tu crois. Tu es mieux ici, c'est tout. A l'abri de tout ce bordel." Il ne lui restait plus qu'à me flanquer une taloche sur le crâne, ce qu'il a fait. "On s'est marrés un peu, tous les deux, non ?"
J'ai dit oui et j'étais sincère.
Il m'a serré la main, il est monté dans le pick-up, il a baissé sa vitre et il m'a souri. "Tu le sais pas encore, mais tu viens de me prêter deux cents piastres. Je te les enverrai par la poste dans une semaine ou deux.
_ Garde-les, c'est pas grave.
_ M'étonnerait. Tu aurais pas pris toutes ces précautions, autrement. J'ai quand même bien cherché."
Et il était parti.
Je ne l'ai pas revu pendant dix ans, et personne ne m'a dit où il était. Pas une lettre, pas une carte à Noël. Je devais m'y attendre, d'ailleurs, parce que, une fois le pick-up disparu, je suis entré au garage et j'ai joué triangle après triangle, sous l'ampoule nue qui pendait au plafond, avec un nuage de mites muettes pour compagnie.
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A sa façon, le Grill a participé à mon éducation. J'y ai tout appris sur les chevaux et les pronostics. Il y avait toujours un quotidien hippique sur une table, et en général quelqu'un prêt à m'offrir une explication de texte. Vers midi, Untemeyer, le bookmaker, faisait son entrée, il s'asseyait au comptoir sur le dernier tabouret, prenait les paris des uns et des autres, et ses petits formulaires disparaissaient dans les poches gonflées de son costume d'alpaga. "Ca veut rien dire du tout", disait-il au sujet du quotidien et des statistiques. Selon lui, d'autres facteurs ne voulaient rien dire non plus, dont les jockeys, l'état du terrain et l'origine du cheval. "Qu'est-ce qui veut dire quelque chose, alors ?" lui ai-je innocemment demandé un jour. "Rien, a-t-il grogné. Rien ne veut rien dire."
J'ai réfléchi. "Il n'y a aucun moyen de prédire ?"
Nouveau grognement. "Il y a des tas de façons de prédire. Le problème, c'est qu'il n'y en a aucune qui marche. Quel âge tu me donnes ?"
Je n'en savais rien, mais je me doutais qu'il n'était pas tout frais. J'ai dit cinquante ans, ce qui m'a valu un troisième grognement. "Essaie plutôt soixante-six. Devine combien j'ai perdu aux courses ?
_ Beaucoup ? S'il avait cet âge...
_ Pas un traitre rond. Devine combien j'ai parié, dans toute ma vie ?"
J'avais compris son jeu : "Pas un traitre rond ?
_ Tu es plus malin que ton vieux, toi. Evidemment, tu es encore jeune. T'as encore tout le temps de devenir bête."
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Perdus ou pas, mon père et mon grand-père ont été les deux personnages cardinaux de mon enfance. Des deux, c'est le grand-père qui, grâce à maman, était le plus présent. Je ne m'en souvenais pas personnellement mais, dès l'âge de six ans, je savais mille choses à son sujet et, aujourd'hui à trente-cinq ans, je suis encore capable de le citer mot pour mot : "Il y a quatre saisons à Mohawk, disait-il à l'envi (par la voix maternelle). Le Quatre juillet ; la Fête foraine ; Mange-ta-dinde ; et l'Hiver."
C'est vrai, chaque année, l'hiver s'accrochait obstinément à Mohawk.
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"Fils !" a gueulé le pater lorsqu'il m'a aperçu. Il avait devant lui un verre de whisky vide et la bière qui va avec, à moitié pleine. Plein, lui, il l'était vraiment.
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Pendant ses longs mois de chimiothérapie, je n'ai pas révélé à mon père que Leigh était enceinte. Peut-être trouvait-il bizarre qu'elle ne m'accompagne jamais, en tout cas il n'en a rien dit. Il vivait, après tout, dans un petit deux-pièces et, au salon, le canapé sur lequel je dormais ne s'ouvrait pas, contrairement à tous les antiques canapés de Sam Hall. Peut-être avait-il conclu que mes visites étaient de quelque façon intéressées. La plupart des hommes qu'il connaissait - et qu'il avait connu, sa vie durant - en étaient venus, après leur mariage, à préférer la compagnie d'autres hommes. Nombre d'entre eux avaient élevé l'abandon du foyer, provisoire mais régulier, au rang de discipline artistique. Chaque fois qu'on entendait le téléphone derrière le comptoir de l'un ou l'autre des bistrots de Mohawk, c'était un concert à plusieurs voix qui accueillait la sonnerie - "Je suis pas là", "Je suis parti il y a cinq minutes", "Tu m'as pas vu depuis des semaines". Il est tout à fait possible que mon père ait vu dans mes apparitions solitaires la preuve que je soumettais ma compagne, tout comme lui-même aurait aimé soumettre ma mère.
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La partie étant finie, mon père est revenu. Smooth lui a demandé : "Comment t'as fait pour avoir un fils aussi intelligent ?
_ J'ai confié son éducation à sa mère.
_ Bien vu, a dit Smooth. Si j'ai l'idée bizarre de rentrer quand même chez moi, tu m'y fais repenser.
_ Tu écoutes jamais ce que je te dis.
_ C'est pour ça que je réussis. Tu es comme une boussole qui indique toujours le sud. Alors je te regarde et je sais qu'il faut aller dans l'autre sens."
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