Après vingt minutes d’injures insoutenables, Creeley revenait se faufiler jusqu’à son bureau, tout rougeaud. Il en était arrivé à ne plus pouvoir me regarder. Et il avait foutu en l’air toute chance de devenir quelqu’un dans la boîte.
— Pourquoi tu lui dis pas d’aller se faire foutre, Creeley ?
Il a secoué la tête et l’a enfouie dans ses papiers. J’ai cru qu’il allait éclater en sanglots.
Hommes et femmes en costume allaient et venaient, porte-documents et dossiers à la main. Il semblait y avoir un air de grande urgence dans leurs mouvements. Certaines femmes étaient séduisantes. Partout où l’on trouvait argent et réussite, les belles femmes convergeaient.
Je me suis inspecté dans le miroir de la salle de bains, en prenant soin de ne pas ouvrir la bouche ni montrer mes dents. J’ai dû admettre que je payais vraiment pas de mine.
Aujourd’hui ma chiotte pourrie – une Ambassador de 1973 à la peinture écaillée et à la transmission flinguée – m’a emmené jusqu’à Morris Plains sans tomber en rade.
J’ai sorti un Penthouse de la petite pile que je gardais dans mon placard. L’Animal de Compagnie du Mois était Camille, une Brésilienne sensuelle au corps de déesse. Chaque fois que je la regardais, ma bouche salivait comme celle d’un chien affamé. Je pouvais flairer ses cheveux, palper ses seins parfaits, goûter sa chatte savoureuse et bien rasée.
Quand elle m’a aperçu en train de marcher, elle s’est garée le long du trottoir et m’a laissé en prendre plein les mirettes. Elle était plus appétissante que jamais – bronzée, svelte, ferme. Troussée dans une robe légère. J’apercevais ses tétons et les contours de sa chatte à travers le tissu diaphane. Ses joues rougeoyaient de santé.
J’avais quand même défriché de grandes portions d’Ulysse et une page ou deux de Finnegans Wake avant de lâcher l’affaire. Je savais qu’on était censés se prosterner devant des types comme Joyce ou Nabokov, et j’avais essayé, mais j’en étais ressorti plutôt avec le sentiment désagréable que le monde entier se faisait duper, qu’un tas de critiques et d’universitaires émasculés avaient pris les décisions pour nous, que tout ça c’était que de la masturbation lexicale. En d’autres mots, qu’ils avaient pas de couilles.